Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’excitait le prince Albert, les hésitations chicanières du premier moment furent bientôt et complètement dissipées. Tout le monde comprit qu’un prince naturalisé deux fois pour ainsi dire, et par un acte du parlement et par son mariage avec la reine, était véritablement un prince anglais ; que le père était le seul tuteur de ses enfans ; que ce tuteur des enfans d’Angleterre ne pouvait pas ne pas être le régent du royaume, et qu’une autorité justifiée à tant de titres ne devait être ni divisée ni affaiblie.

Nous avons dit que cet heureux résultat était dû au parlement, à l’opinion, à la personne du prince Albert ; il faut ajouter, pour être juste, qu’une très grande part du succès appartient au baron de Stockmar. Qui donc, si ce n’est lui, avait préparé l’entente du gouvernement avec le leader de l’opposition ? Qui donc avait prévenu les maladresses et les négligences de lord Melbourne ? Le prince Albert reconnaissait bien cet éminent service lorsqu’il écrivait à son père, le 24 juillet : « Une affaire de la plus haute importance pour moi va être réglée dans quelques jours. Je parle du bill de régence, dont la troisième lecture aura lieu aujourd’hui à la chambre des lords, après quoi il sera porté à la chambre des communes. Il a été fort malaisé de mener l’affaire à bien, car des intrigues de toute sorte étaient à l’œuvre, et si Stockmar n’eût gagné l’opposition en faveur des ministres, tout aurait fini comme pour le bill des 50,000 livres[1]. Il n’y a pas eu un mot d’opposition à la chambre des lords, excepté de la part du duc de Sussex. »

Enfin la cause est gagnée, gagnée publiquement par un arrêt irrévocable des chambres, comme elle était gagnée secrètement dans le cœur de la reine. Que disait donc son altesse royale le duc de Sussex, quand il se préoccupait si fort de la vie de sa majesté ? À l’entendre, la présentation de ce bill, dans l’état où se trouvait la reine, pouvait lui porter un coup funeste. Touchante sollicitude ! Ce donneur d’avis si désintéressé eût été rassuré sans doute s’il avait su que la reine elle-même désirait plus vivement que personne le vote de la loi de régence. N’est-ce pas la meilleure condition pour affronter les crises de la vie humaine que d’avoir mis toutes ses affaires en règle, et de ne laisser en suspens aucune décision importante ? Il n’y avait rien de plus important pour la reine que d’avoir assuré la position du prince. Désormais, quoi qu’il pût arriver, le prince, comme tous deux le souhaitaient si vivement au nom de leur mutuel amour et de la dignité commune, — le prince n’était plus seulement le mari de la reine, il était vraiment maître dans sa maison.

  1. Voyez les détails sur le bill des 50,000 livres dans notre étude du 15 août dernier, le Mariage de la reine.