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proposées, et aussitôt elle prend une attitude de plus en plus impérieuse. Elle renvoie à Constantinople son ambassadeur, le général Ignatief, comme le mandataire de ses dernières volontés ; elle semble décidée à marcher quand même, dût-elle rester seule. Alors l’Angleterre s’efface brusquement, elle laisse la Russie en face de la Turquie, sans dissimuler toutefois qu’elle s’abstient afin « de ne s’engager à rien qui puisse entraver sa liberté d’action à l’avenir, si les droits et les intérêts du pays venaient à être affectés… » Ainsi propositions et contre-propositions, marches et contre-marches, diversions incessantes, conflits d’influences et de politiques, — l’imbroglio se déroule jusqu’à ce que, la situation de la Serbie s’aggravant par de nouveaux désastres, et la pression de la Russie se manifestant par une sommation plus impérative venue de Livadia, la Turquie, cessant toute résistance, se soumette à la condition des six semaines I Une fois l’armistice accepté, l’Angleterre reparaît pour proposer immédiatement une conférence qui doit être acceptée partout, puisque le cabinet de Londres a pu annoncer qu’elle va se réunir à Constantinople, et puisqu’il a déjà désigné le marquis de Salisbury pour aller, comme ambassadeur extraordinaire, coopérer avec sir Henry Elliot à cette grave délibération de l’Europe.

Que résulte-t-il de tout cet enchaînement de péripéties intimes et d’incidens obscurs auxquels a été suspendue plus d’une fois la paix du monde ? Évidemment, soit dit avec tout le respect que méritent les têtes chenues de la diplomatie, on a passé bien du temps à embrouiller ce qu’on aurait dû s’étudier au contraire à simplifier. Voilà les hommes d’état de six grandes puissances qui ont eu à déployer bien de l’activité et bien de l’habileté pour multiplier ou laisser multiplier les complications qu’ils ont aujourd’hui à dénouer dans une conférence ! Elle va donc se réunir à Constantinople, cette conférence nouvelle ; elle se composera, à ce qu’il semble, des représentans ordinaires des puissances auprès du sultan, et d’ambassadeurs extraordinaires envoyés pour la circonstance. Toutes les politiques vont se trouver en présence dans une même délibération, et ce qu’il y a de mieux à souhaiter pour une assemblée de plénipotentiaires du monde civilisé, c’est qu’elle réussisse à épargner à l’Europe de nouveaux déchiremens, de nouvelles effusions de sang, à tranquilliser aussi l’humanité en préservant des populations, des provinces entières de l’excès des oppressions violentes. En réalité, la conférence a deux choses assez distinctes à faire : elle a d’abord à rétablir la paix entre la Turquie d’une part, la Serbie et le Monténégro de l’autre, et ce n’est pas là sans doute la partie la plus épineuse de sa tâche. La Turquie, précisément parce qu’elle a été victorieuse, n’a point de prétentions d’orgueil à élever. Dans sa position, elle n’a point de conquêtes à espérer ni une suprématie à revendiquer. Elle pourrait plutôt se montrer modérée et se prêter à des concessions qui deviendraient peut-être pour elle des gages de sécurité. D’ailleurs l’existence de la