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IV

Il serait manifestement peu sincère ou peu clairvoyant d’affirmer que les institutions locales accordées aux provinces chrétiennes ne les mèneront jamais plus loin, de nier que de l’autonomie administrative elles puissent jamais s’élever à l’autonomie politique, et de là à l’indépendance. L’exemple des deux provinces roumaines, de là Valachie et de la Moldavie, suffirait à prouver qu’une telle marche est possible, peut-être même naturelle. Les circonstances ne sont cependant pas tout à fait analogues. Les Roumains possédaient une unité de nationalité et de religion, une unité géographique qui leur devait singulièrement faciliter une telle évolution. Pour les Bosniaques et les Bulgares au contraire, le mélange des races ou des cultes d’un côté, l’indécision des contours géographiques de l’autre, semblent devoir rendre la transition de l’autonomie à l’indépendance plus difficile ou plus lente. Je suppose cependant que malgré tous les obstacles ce pas ait pu être franchi, je supposé les Bulgares parvenus, de concessions en concessions, à une situation analogue à celle des Roumains aujourd’hui ; si ce passage s’était fait pacifiquement, si, au lieu d’une province désolée par des insurrections ou des massacres périodiques, la Turquie avait sur les Balkans un vassal paisible et prospère, le mal ne serait pas grand. S’il n’y avait qu’une principauté danubienne de plus, les puissances occidentales, qui ont plus que personne contribué à l’indépendance de la Roumanie, qui, pour l’agrandir, ont même enlevé à la Russie une bande de terre, les puissances occidentales ne sauraient s’inquiéter. D’où viennent donc les appréhensions suggérées par une perspective si vague et si lointaine encore ? Comment se fait-il que l’on redoute en Bulgarie ce qu’on a soi-même encouragé en Roumanie ? Faut-il dire : vérité en deçà du Danube et erreur au-delà ? Non, la contradiction n’est qu’apparente ; elle s’explique du moins sans peine. Toute cette différence de points de vue tient uniquement à la différence de races des populations sur les deux rives du Danube. Au nord, c’est un peuple de traditions et de langue latines qui se fait gloire du nom de Romain, dont toutes les sympathies sont pour l’Occident, et qui se regardé comme un avant-poste de l’Europe en Orient. Au sud du grand fleuve au contraire, c’est un petit peuple slave, sans lien avec l’Occident, et n’ayant de penchant que pour le grand empire slave du nord. En aidant à ériger la Roumanie en état quasi-indépendant, l’Europe créait une barrière entre la Russie et les maîtres actuels du Bosphore ; en contribuant à préparer l’érection de la Bulgarie en principauté