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familles. C’était un moyen d’éviter l’inconvénient de faire un choix entre le roi de Hanovre, oncle paternel de la reine, et son oncle maternel, le roi des Belges. Supposez qu’on se fût adressé au roi de Hanovre, le roi des Belges, si dévoué à sa nièce, qui l’avait élevée, qui l’avait mariée, qui ne cessait de lui témoigner une affection paternelle, n’eût-il pas éprouvé un sentiment pénible ? D’autre part, préférer le roi des Belges au roi de Hanovre, n’était-ce pas s’exposer à froisser l’orgueil britannique, non-seulement chez le frère du duc de Kent, mais dans le pays ?

Les argumens de Stockmar prévalurent ; le choix de la reine et du prince s’arrêta sur le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV. Ce n’étaient plus des raisons de famille qui se trouvaient en jeu, c’étaient des raisons politiques. Le parrain du prince de Galles serait le roi d’une nation amie, le plus grand souverain protestant du continent. Ce projet, dès qu’il en fut question, avait été approuvé par le ministère whig ; le cabinet tory ne pouvait aussi que s’en féliciter. Il était clair d’avance que, dans une telle affaire, sir Robert Peel et lord Melbourne seraient nécessairement d’accord. Le roi de Hanovre en devint furieux, nous disent les notes de Stockmar ; mais il eût été sans doute bien plus irrité, si la reine eût choisi le roi des Belges, et d’ailleurs il n’y avait pas lieu de se préoccuper des fureurs du roi de Hanovre, si l’on se rappelle sa conduite envers le prince Albert au sujet du bill de régence.

Dès que la décision fut prise, le roi de Prusse dut en être averti indirectement, au nom des augustes habitans de Windsor, car on trouve dans sa correspondance avec le baron de Bunsen la curieuse lettre que voici :

« Charlottenbourg, 3 décembre 1841.

« Si je suis encore de ce monde, si je ne suis pas malade, si la santé de ma chère Élise n’exige pas ma présence, si Thiers ne revient pas au pouvoir, si aucun corps d’armée ennemi n’est rassemblé sur nos frontières, bref, s’il ne survient aucune circonstance qui doive réellement m’arrêter, j’arriverai en Angleterre vers le milieu de janvier, — en supposant qu’on n’ait point de scrupule à Windsor et que je reçoive une invitation, officiellement ou sous main, mais d’une façon directe.

« FREDERIC-GUILLAUME. »

Quels étaient donc les scrupules qu’on pouvait éprouver à Windsor et qui avaient empêché la reine d’adresser directement son invitation au roi de Prusse ? Oh ! de simples scrupules de discrétion ; il avait paru convenable de ne pas gêner la liberté du roi. Chacun du reste était persuadé, dans le monde politique de Londres, non-seulement que le roi de Prusse accepterait l’honneur d’être le parrain du futur souverain de la Grande-Bretagne, mais qu’il viendrait