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Victoria, fit le voyage d’Angleterre ; au mois de juin et au mois d’octobre 1844, ce furent deux des plus grands souverains de l’Europe, deux souverains qui représentaient dans le monde les principes politiques les plus opposés, Nicolas Ier, empereur de toutes les Russies, et Louis-Philippe Ier, roi des Français, qui allèrent visiter la reine à Windsor. Le premier s’était invité lui-même ; le second, que la reine et le prince Albert étaient venus voir au château d’Eu en 1843, leur rendait simplement cette marque de haute courtoisie.

Il y eut d’autres visites royales ou princières à Windsor en ces premières années du mariage de la reine ; le roi de Saxe, par exemple, et le prince de Prusse se rendirent aussi en Angleterre pendant cette même année 1844. Nous nous attachons ici aux trois visites du roi de Prusse, du tsar de Russie et du roi des Français, parce qu’elles forment comme les trois journées d’un vrai drame diplomatique, avec une action nettement engagée, des péripéties aussi soudaines qu’imprévues, enfin le dénoûment le plus favorable que pût souhaiter notre patriotisme. On soupçonnait bien quelque chose de ce conflit d’influences royales avant la publication des Mémoires de Stockmar ; les notes du conseiller de la reine Victoria nous permettent d’en retrouver les détails les plus caractéristiques. Non pas qu’il ait lui-même le sentiment du drame que nous indiquons, il en supprime au contraire toute une partie, car il ne parle que de ce qu’il a vu. Il ne se trouvait pas en Angleterre quand Louis-Philippe fut reçu à Windsor, et la troisième journée, qui donne aux deux premières une conclusion si précise, lui échappe d’un bout à l’autre. Là comme partout, il faut profiter de ses notes, compléter ses renseignemens et essayer de peindre le tableau dont il n’a fourni que des élémens épars.


I

Le 9 novembre 1841, la reine Victoria donna le jour à son second enfant. Cette fois ses vœux et ceux du prince furent exaucés ; l’enfant était un fils, un prince de Galles, le futur héritier de la couronne d’Angleterre. Quel en serait le parrain ? Grande question et fort embarrassante. Les candidats ne manquaient pas parmi les parens les plus rapprochés de la reine, soit dans la famille royale d’Angleterre, soit dans la famille de Cobourg. L’un des plus ardens était le duc de Cumberland, frère puîné du duc de Kent, celui que l’avènement de la reine Victoria avait fait roi de Hanovre. On débattit bien des noms, on pesa le pour et le contre ; bref, après un examen scrupuleux et sur le conseil de Stockmar, il fut décidé que le parrain du prince de Galles serait choisi en dehors des deux