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parole d’honneur[1] qu’il ne songeait pas le moins du monde à un coup d’état, et immédiatement il fit publier les ordonnances. Je ne soutiendrai jamais Henri V. Lorsque l’on me sonda pour savoir si Henri V pouvait me rendre visite, je lui fis répondre que je le recevrais, mais seulement comme particulier, et que cette réception privée pouvant nuire à sa cause aux yeux de l’Europe, décourager ses amis et ses partisans, il valait mieux, à mon avis, qu’il n’en fût plus question.

« Je n’approuve pas du tout la comédie qu’Henri V a jouée en Angleterre[2]. Henri V peut porter haut la conviction qu’il est ce qu’il est, c’est-à-dire le roi légitime de France ; mais il ne faut pas qu’il fasse rien de plus ; jouer au prétendant, c’est absurde. »


Tout cela était adroitement combiné. Le tsar Nicolas, si hostile qu’il fût à la France de 1830, ne pouvait se poser en carliste aux yeux de l’Angleterre, même sous un gouvernement tory. De là ces dures paroles, trois fois dures dans sa bouche, et qui dépassaient de beaucoup sa pensée. Plus il se montrait impartial, sans préventions ni préjugés, entre les deux branches de la maison de Bourbon, plus aussi il avait chance de faire accueillir ses sentimens de défiance contre la France nouvelle. On va voir que c’est là décidément sa continuelle préoccupation. Tout à l’heure, il accusait le roi Louis-Philippe d’avoir voulu miner souterrainement sa position d’empereur de Russie, comme si le gouvernement du roi Louis-Philippe eût jamais été pour quelque chose dans les insurrections polonaises ; dans une autre conversation avec lord Aberdeen, dans une autre conférence avec sir Robert Peel, il trouvera contre nous des argumens encore plus étranges et plus inattendus. Même en traitant des sujets où il doit surtout s’inquiéter des projets de l’Angleterre, c’est toujours à la France qu’il revient, c’est toujours la France qu’il dénonce. Un de ces sujets, par exemple, c’est la

  1. Ces mots sont en français dans le texte : « Einige Tage vor dem Erscheinen der Ordonnanzen… gab mir dieser Charles X sa parole d’honneur, er habe keine Staatzstreiche in Sinne, und liesz unmittelbar darauf seine Ordonnanzen publiziren. » Denkwürdigkeiten aus den Papieren des Freiherrn Christian Friedrich von Stockmar, p. 395.
  2. On sait que le duc de Bordeaux, au mois de novembre 1843, avait cru devoir faire un séjour en Angleterre, et que sa présence dans une contrée si voisine avait provoqué de bruyantes démonstrations légitimistes. Il est inutile de rappeler les incidens parlementaires auxquels donna lieu le pèlerinage de Belgrave-Square, les passions misérablement soulevées, la flétrissure infligée dans l’adresse à des hommes d’honneur, tristes violences de parole que M. Guizot lui-même a blâmées dans ses Mémoires et dont il repousse la responsabilité première. « La flétrissure, dit-il excellemment, est une de ces expressions excessives et brutales par lesquelles les partis s’efforcent quelquefois de décrier leurs adversaires et qui dépassent les sentimens même hostiles qu’ils leur portent. » (Mémoires, t VIII, p. 68.) C’est à tout cela que le tsar fait allusion ; le mot de comédie est-il bien juste ?