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question d’Orient. Savez-vous ce qu’il signale aux politiques anglais comme le danger de l’Orient ? c’est la France. Personne n’ignore que l’Angleterre a, comme la Russie, les plus grands intérêts dans l’Europe orientale, que la chute ou le maintien de l’empire ottoman est pour elles une question de vie et de mort, que l’ouverture de cette succession provoquera des luttes gigantesques dont elles auront à supporter les plus terribles chocs ; le tsar Nicolas paraît ne pas s’en douter, la France seule l’inquiète. Touchante sollicitude ! Il veut absolument que l’Angleterre se défie, comme lui, des projets ténébreux de notre politique. Il en est encore, ou du moins il parle et agit comme s’il en était encore au 15 juillet 1840. Il fait semblant d’oublier que ce traité n’a plus de valeur, que cette affaire est close, que de nouveaux arrangemens ont été pris, que la France n’est plus séparée de l’Angleterre par les perfidies de lord Palmerston. Prenez garde, — dit-il à lord Aberdeen en 1844, comme il le faisait dire à lord Palmerston, en 1840, par M. de Brünnow, — prenez garde à ce que fera la France en Turquie, l’heure fatale est proche.


« La Turquie est en train de mourir. Nous pouvons chercher les moyens de lui sauver la vie, nous n’y réussirons pas. Elle mourra, il est impossible qu’elle ne meure point. Ce sera un moment critique. Je prévois que je serai obligé de faire marcher mes armées. L’Autriche alors sera obligée d’en faire autant. Dans cette crise, je ne redouterai que la France. Que voudra-t-elle ? je la redoute sur bien des points : en Afrique, dans la Méditerranée, en Orient même. Vous souvenez-vous de l’expédition d’Ancône ? Pourquoi n’en ferait-elle pas une semblable à Candie, à Smyrne ? En de telles circonstances, ne faudra-t-il pas que l’Angleterre se porte sur les lieux avec toutes ses forces maritimes ? Ainsi une armée russe, une armée autrichienne, une grande flotte anglaise dans ces contrées ! tant de barils de poudre dans le voisinage du feu ! Qui empêchera les étincelles de faire tout éclater ? »


On voit quelle adresse dans ces paroles jetées subitement, d’une façon tout imprévue : Je ne redouterai que la France ! Et ces projets qu’il lui prête, ces expéditions de Candie, de Smyrne, suite naturelle de l’expédition d’Ancône ; cette nécessité pour l’Angleterre d’arriver avec toutes ses forces, une guerre générale sortant de là par le seul fait, par la seule faute de la France ! Évidemment la France est le trouble-fête de l’Europe, et de plus l’ennemi particulier de l’Angleterre. Le tsar dit toutes ces choses avec feu, avec force, comme des vérités inquiétantes et incontestables. Il ne permet pas à lord Aberdeen de l’arrêter, il va toujours en homme lancé à fond de train. S’il surprend un mot, un geste, chez le ministre anglais, s’il devine sur sa physionomie une réponse qui se