ses troupes, il s’inclina devant elle et lui dit : « Je prie votre majesté de considérer toutes les miennes comme lui appartenant. » Propos excessif, qu’il rendit plus singulier encore en le répétant à plusieurs officiers de l’état-major de la reine. Une autre fois, s’associant de tout son cœur à l’enthousiasme qu’excite en Angleterre le divertissement national des courses, il fit aux jockeys d’Ascott un don annuel de 500 livres ; or il se trouvait que des mesures de police venaient d’être prises contre les jeux effrénés dont ces courses étaient l’occasion, et que ces mesures attribuées au prince Albert avaient excité contre lui un certain mécontentement. Le tsar ne s’aperçut pas qu’il avait l’air de protester contre les rigueurs de la police et de faire la leçon au prince. Quelques jours après, le 10 juin, un bal par souscription devait avoir lieu en faveur des réfugiés polonais. Assurément, le jour était mal choisi ; on aurait mieux fait pour tout le monde d’attendre le départ de l’empereur. La faute étant commise, l’empereur n’avait qu’un parti à prendre, c’était de l’ignorer. Dans les dispositions où il était venu à Londres, il ne pouvait se plaindre, et, ne pouvant se plaindre, pourquoi ne pas se tirer d’embarras par une ignorance absolue ? Cette conduite était la plus simple comme la plus digne ; il fit précisément le contraire : l’idée lui vint de joindre sa souscription à celle des amis de la Pologne. Rien de moins simple et rien de moins digne. Ne devait-il pas prévoir que les commissaires du bal seraient fort embarrassés de cette offre, que la chose donnerait lieu à des discussions vives, que cela seul serait déjà pour l’empereur une cause de grave déplaisir ; et quel affront si la souscription était refusée ! Notez que la première des dames patronesses était la duchesse de Somerset ; soit qu’on acceptât l’offre, soit qu’on la refusât, combien d’ennuis cette indiscrétion du tsar allait-elle causer à l’une des plus nobles personnes de l’aristocratie britannique ! L’empereur avait beau faire écrire à la duchesse par son ambassadeur M. de Brünnow qu’il ne voyait dans ce bal qu’une œuvre de bienfaisance, comment ne pas se sentir blessé de cette intervention comme d’un vrai scandale ? Toute politique à part, les bienséances morales étaient violées. Il faut se rappeler en outre qu’à cette date les sympathies polonaises étaient nombreuses dans toute une partie de la société anglaise. Le tsar était exposé à entendre des paroles mal sonnantes. C’est M. Guizot qui nous l’apprend : tandis qu’on délibérait dans le comité, le tsar disait à Horace Vernet avec une humeur mal contenue : « On vient encore de me crier dans les oreilles : Vivent les Polonais ! »
À propos de ces Polonais réfugiés en Angleterre, les Mémoires de M. Guizot ne nous donnent que ce détail, les notes de Stockmar gardent absolument le silence. C’est là pourtant une des circonstances les plus intéressantes de ce voyage du tsar en Angleterre.