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de fer de Douvres, arriva dans la ville vers le milieu de la nuit, reçut encore le matin le corps municipal, s’embarqua pour Calais sur le bateau à vapeur le Nord, et toucha la terre de France dans l’après-midi du 15 octobre. Eh bien, savez-vous ce qui se passait à Portsmouth, tandis que le roi quittait l’Angleterre à Douvres ? La reine Victoria, profitant d’une éclaircie après les adieux, avait poursuivi son voyage jusqu’au port où le vaisseau français devait la recevoir la veille. Le 15, à neuf heures du matin, elle se rendit à bord du Gomer. L’amiral La Susse lui en fit les honneurs. L’étendard royal fut hissé au grand mât. Les bâtimens français à l’ancre dans la rade saluèrent l’arrivée de la reine par des salves d’artillerie auxquelles les bâtimens anglais répondirent. La reine et le prince daignèrent accepter le déjeuner que leur offrit l’amiral. Si le roi manquait au repas, son souvenir y présidait. Improvisation toute gracieuse ! Ce fut comme une dernière fête en l’honneur de la France, un dernier shakehand après les adieux précipités de la veille.

L’histoire ne se fait bien qu’à distance. Trop de passions défigurent la vérité à l’heure où les événemens se produisent. Instruits par les notes de Stockmar sur le véritable sens des trois visites royales que nous venons de raconter, l’idée nous est venue de chercher dans les journaux du temps l’opinion des publicistes quotidiens sur la réception de Louis-Philippe à Windsor. Évidemment, si l’on avait su le fond des choses comme nous le savons aujourd’hui, si l’on avait pu comparer impartialement la visite de Louis-Philippe avec celles de Frédéric-Guillaume IV et de Nicolas Ier des publicistes français n’auraient eu qu’à se réjouir. Est-il possible de demander aux partis un tel sentiment de l’équité ? La passion politique altère tout, dénature tout, elle ne voit que ce qu’elle veut voir ; ces journées d’octobre 1844, si glorieuses pour la France, ne furent aux yeux de l’opposition que la preuve de son abaissement. La France était la vassale de l’Angleterre. C’était le vassal humblement soumis que l’altier suzerain avait accueilli avec bienveillance. La politique de la paix à tout prix recevait le salaire de ses œuvres. Qu’on se représente de noble thème développé à outrance par des plumes venimeuses ; voyez-vous d’ici les factions rivalisant à ce sujet d’éloquence et de patriotisme ? Qu’on se représente en même temps les déclamations de la presse officieuse, le fanatisme doctrinaire s’exaltant à froid pour tenir tête au fanatisme légitimiste et démocratique, les bonnes dispositions des deux gouvernemens transformées en garanties infaillibles, l’infatuation et la raideur s’accoutumant à prendre la place de la vigilance et de la souplesse, c’est-à-dire de la politique. Comme tout cela paraît également