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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/580

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éloigné de la vérité, à qui vient de comparer sans parti-pris les trois visites royales ! La vérité, c’est que la France de 1830, en dépit des vieilles haines, inspirait des sympathies à l’Angleterre de 1688, et que ni Frédéric-Guillaume IV, malgré son autorité morale, ni le tsar Nicolas Ier malgré son prestige, n’avaient pu ébranler cette confiance. Cette heure est l’heure glorieuse du ministère Guizot. Louis-Philippe, dans sa visite à la reine Victoria, vient de consolider l’entente cordiale des deux pays, sans que ni l’un ni l’autre ait eu un sacrifice à faire. Il ne reste plus qu’à maintenir cette amitié, à poursuivre ensemble les grands buts, à éviter les froissemens sur les choses de second ordre. Nous ne parlons ici que du dehors, les affaires du dedans exigeaient de bien autres conditions et supposaient une vigilance bien autrement active.

On ne peut se défendre d’une sérieuse impression, quand on a pris plaisir à revivre par l’étude au milieu de cette période si rapprochée de nous et déjà si profondément oubliée, si singulièrement méconnue. Toutes les personnes souveraines qu’y rassemble l’histoire, une seule exceptée, ont disparu de la scène. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, l’empereur de Russie Nicolas Ier le roi des Français Louis-Philippe Ier sont morts depuis longtemps. Seule, l’auguste souveraine qui les a reçus tour à tour à Windsor est encore assise sur le trône où elle est montée il y a bien près de quarante ans. Que de révolutions depuis cette date ! que de changemens dans la destinée des états ! Nous avons pu parler librement d’un roi de Prusse, d’un empereur de Russie, d’un souverain de la France, d’une reine de la Grande-Bretagne, sans que nos appréciations sur ces crises d’autrefois fussent gênées en rien par les crises d’aujourd’hui. Du passé au présent, qu’y aurait-il à conclure ? des abîmes les séparent. Qu’on ne voie donc pas dans ces pages autre chose que ce qu’elles renferment. Les événemens que nous venons de raconter n’offrent plus qu’une valeur historique, ils n’ont point de rapport avec les circonstances présentes. Nous n’avons certes aucune raison de nous défier encore de la Russie, aucune raison d’oublier notre ancienne entente avec l’Angleterre. L’intérêt de la France comme l’intérêt du genre humain nous obligent désormais à essayer de concilier l’Angleterre et la Russie, afin que si la lutte locale des Slaves et des Turcs, des races chrétiennes d’Orient et des races musulmanes, ne peut être évitée, on s’efforce au moins d’empêcher une guerre générale qui serait le bouleversement du monde.


SAINT-RENE TAILLANDIER.