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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/604

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donneraient des preuves sincères ou non de la vivacité de leurs sentimens religieux, je ne voudrais pas prendre sur moi d’affirmer que le reproche ne puisse jamais avoir quelque fondement. Oui, je ne voudrais pas répondre que, sur plus de 400 religieuses employées dans les hôpitaux de Paris, que l’ardeur du sentiment religieux a poussées et soutient chaque jour dans une vocation pleine de rebuts, il n’y en ait pas une seule qui soit capable de se laisser entraîner au-delà des justes bornes, et d’accorder ou de refuser certaines gâteries aux malades qui se rapprochent ou s’éloignent ostensiblement de leurs croyances. Cela, c’est la part de l’imperfection humaine : c’est le revers de toute médaille ; c’est le prix dont il faut savoir payer les meilleures choses. N’est-ce pas trop espérer de la nature des femmes que de leur demander toute la continuité de sacrifice et de dévoûment qu’inspire l’esprit religieux, sans consentir à être indulgent pour quelques-unes de ses exagérations ? Indulgent en théorie du moins, car c’est le devoir des médecins et des directeurs de rappeler aux sœurs que les malades n’ont en quelque sorte pas de religion, et que tous ont droit à l’égalité dans la répartition non-seulement des soins nécessaires, qui ne sont jamais (à peine est-il besoin de le dire) refusés à aucun, mais dans les petites attentions qui viennent compléter ces soins.

Quelques personnes qui ne pénètrent dans les hôpitaux qu’à de rares intervalles s’étonnent aussi de l’indifférence et de l’insensibilité apparente des sœurs en présence des souffrances dont elles sont témoins. Ces personnes n’oublient qu’une chose : c’est que, si les gémissemens ou l’agonie d’un malade causaient à la religieuse qui est chargée de le soigner autant d’émotion qu’au visiteur qui traverse la salle ou même à la dame de charité qui s’assoit pour quelques instans au pied de chaque lit, celle-ci deviendrait bientôt complètement impropre à la tâche dont elle est chargée. Il n’est pas donné non plus à la nature humaine de conserver toujours la vivacité de ses impressions premières, et pour le soin intelligent des malades cette vivacité d’impression est plutôt nuisible qu’utile, Lorsque durant le siège de Paris on fit appel pour le soin des blessés dans les ambulances au dévoûment de femmes dont la plupart n’avaient jamais pénétré dans une salle d’hôpital, combien n’y en eut-il pas qui craignaient les premiers jours de ne pouvoir aller jusqu’au bout de leur tâche, et qui la nuit voyaient apparaître devant leurs yeux les blessés et les morts ! Au bout d’un mois, elles n’y pensaient plus et goûtaient paisiblement le repos dont elles avaient besoin pour faire face aux fatigues de la journée. Qu’eût-ce été si elles avaient passé dix ans dans la même salle et oublié jusqu’à la figure des nombreux malades qu’elles avaient soignés ? Enfin l’uniformité du costume ne fait pas l’uniformité des caractères, et sous