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LE
JUGE DE BIALA
RECIT DE MŒURS GALLICIENNES.

Mort ! Il est mort, lui, mon ami Ivon Megega ! Je l’ai appris au café, il y a une heure, et maintenant me voici tristement plongé dans mon fauteuil, secouant la tête et tout abasourdi ! Non pas que cet événement m’ait beaucoup étonné. Je savais que, d’après les prévisions humaines, mon vieux camarade devait quitter avant moi la vie, qui ne lui offrait que bien peu de jouissances « du moment que ces maudits Polonais avaient de nouveau le haut du pavé, et que ce Moschko[1] du diable mêlait tant d’eau claire au schnaps. » Cela, je le savais, car d’abord il était de quarante années plus âgé que moi-même, et ensuite il souffrait depuis longtemps d’une vilaine maladie, hum ! je veux lui donner son nom latin,… qu’on appelle le delirium tremens. J’étais donc résigné à entendre un jour ou l’autre, en rentrant, une bouche étrangère et impitoyable me dire : — Ton vieil Ivon n’est plus ! — mais jamais, au grand jamais, je n’aurais cru l’apprendre dans un café de Vienne et par les journaux de la ville impériale ! car Ivon ne comptait pas parmi les illustres de ce monde, il ne marchait point dans les hautes sphères de la société, il marchait tout simplement sur le grand chemin pour venir chaque matin de sa jolie métairie à l’auberge du Juif Welfersheim, et s’en retourner de même le soir ; encore ne pouvait-on donner à ce mouvement le nom de marche : c’était plutôt un brandillement, une sorte d’oscillation étrange…

C’est donc vrai ! les journaux annoncent son décès ! Elles sont devant

  1. Moïse, — Juif.