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d’un roman bien tourné. C’est ainsi que les mœurs allemandes ont été longtemps l’objet de notre aveugle admiration. Mme de Staël nous avait présenté une Allemagne idéale qui reflétait magnifiquement tous ses enthousiasmes, toutes les utopies rêvées par son imagination généreuse. Les idylles de Gessner, dont on fait peu de cas en Allemagne, avaient semé pour nous de moutons bien peignés cette terre de la philosophie et de la vraie liberté, qui était devenue en même temps une Arcadie, l’asile des félicités champêtres ; tous les villageois nous apparaissaient semblables aux vertueux patriarches, aux chastes fiancés qui défilent dans les pages charmantes d’Hermann et Dorothée. Quelques romans féminins, remarquables par un parfum de douce résignation et par une morale irréprochable, ne nous avaient pas donné moins haute idée des mœurs bourgeoises, et quant à l’aristocratie, n’était-il pas établi, depuis les beaux jours de Weimar-Athènes, qu’elle s’ouvrait aux grandes idées nouvelles, qu’elle patronait libéralement le génie, sans renoncer pour cela à porter bien haut les traditions de la chevalerie, le respect des vieux principes monarchiques et le culte des aïeux ?

La guerre de 1870-71 a brusquement mis en déroute ces séduisantes chimères ; une réaction complète s’est produite et, sous prétexte de patriotisme, nous avons versé dans l’excès contraire, dans le dénigrement systématique. Il importe cependant au véritable patriotisme de connaître les Allemands, de les juger sans passion, sans violence, et de chercher, en étudiant de près leurs mœurs, la source de leurs qualités et de leurs faiblesses, de leurs succès et de leurs fautes. C’est donc une bonne fortune de rencontrer sur un terrain neutre des renseignemens aussi sincères, aussi précis, aussi minutieux. Ces études, publiées d’abord dans le Fraser’s Magazine, sont aujourd’hui réunies en volume. La situation de l’auteur exigeait un incognito rigoureux, mais il est facile de voir, malgré un parti-pris de réserve, que, tout en nous faisant pénétrer de préférence dans les classes moyennes, l’écrivain anonyme a été mêlé pour sa part à la vie des cours ainsi qu’à certaines scènes de la vie politique. C’est une grande dame d’un pays libre qui, ayant été mariée en Allemagne, raconte simplement ce qu’elle a vu hors de chez elle, non sans une pointe de malice et d’ironie. Aucune Allemande de naissance, fût-elle émancipée jusqu’à la révolte, n’oserait donner aux usages de sa patrie d’aussi vigoureux coups de patte, mais aucune Française non plus ne saurait, vu les circonstances, apprécier le bien et le mal avec cette impartialité. Il appartenait à une Anglaise d’user vertement du droit de dire sa façon de penser sur un peuple qu’elle n’a aucun motif de flatter ni de haïr, sans rien dissimuler, sans rien exagérer et sans faire d’esprit aux dépens de ce qui est vrai.