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nomme indifféremment une Mamsell, qu’elle soit fille, femme ou veuve, et qui tient les provisions sous clé.

Les domestiques se contentent de gages modiques ; en revanche, leurs exigences et leurs prérogatives sont variées à l’infini dans les détails ; tout est de tradition : le thé, le café, le sucre supplémentaires, les Trinkgelder (pourboire) de Noël et des foires locales, les rations de viande, le régime de l’office en général, qu’on ne saurait modifier sans s’exposer à une rébellion, les droits gastronomiques étant sacrés.

Une servante allemande n’estime sérieusement ses maîtres que s’ils ont assez de linge pour se borner à deux lessives par an ; du reste la ménagère elle-même fait de la rareté de ses lessives un sujet d’orgueil et accumule avec complaisance le linge sale dans la Waschkammer, — chambre d’une construction particulière, protégée contre les rats et ouverte aux courans d’air. — Pour revenir aux exigences de la servante, elles sont de plus d’une sorte : Lotte ou Jette se réserve invariablement la liberté du dimanche, non pas pour aller à l’église, — le temple est fort peu fréquenté dans toute l’Allemagne protestante, — mais parce qu’elle appartient à un Kränzchen, à un club où l’on prend le café sous les tonnelles, où l’on danse tant que dure l’après-midi avec le fiancé du moment. Cette fille, que vous avez vue toute la semaine dans le costume le plus négligé, s’élance à son bal du dimanche en robe de mousseline, une couronne de fleurs sur ses blonds cheveux. Quant au privilège qu’elle s’arroge d’en finir avec son travail dès sept heures du soir et de se planter sous la porte un tricot à la main, pour partager sa soirée entre la médisance et la flirtation, il n’est jamais discuté ; c’est une coutume, c’est un droit ; et nul être au monde ne tient au droit et à la coutume avec autant d’opiniâtreté que le domestique allemand ; l’apparition même des maîtres n’arrêterait pas le mouvement des aiguilles ni celui de la langue. Si vous n’êtes pas satisfait de ces façons-là, force vous sera de patienter avec M, le Lotte jusqu’au terme, l’époque de la louée. Il faut des circonstances bien graves pour congédier une servante dans l’intervalle, et vous risquez fort de ne pouvoir la remplacer.

La nourrice est seule ou presque seule à conserver le costume national qui a été détrôné par les modes de la ville, et c’est grand dommage. Rien n’était plus joli que la jupe courte de couleur éclatante, la jaquette noire, les boucles d’argent, le bonnet empesé qui voilait à demi les nattes bien lisses retenues par une flèche. La nourrice porte encore cet accoutrement coquet dont sa maîtresse, qui l’emmène partout avec elle, fait parade. Il est très rare que les femmes de la société allaitent elles-mêmes leurs enfans, et l’on engage généralement pour cet office de braves filles « qui n’ont eu