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jadis à la langue française. Ces mots hybrides, souvent détournés de leur sens primitif, n’ont jamais été sanctionnés par la grammaire et produisent un effet déplorable dans la conversation. Ils datent de la francomanie, du temps où Frédéric II affichait son mépris pour tout ce qui n’était pas de la patrie de Voltaire, jouant sur la flûte des airs français, écrivant en français de longues lettres et de mauvais vers, et imposant son exemple à tous les petits princes, ses voisins. Les modes, les coutumes, la langue françaises étaient universellement adoptées à la cour. Visitez Schönbrunn, Charlottenburg, Herrenhausen, Wilhelmshöhe, Ludwigslust, vous trouverez partout le même parti-pris d’imiter Versailles. À cette époque régnait en Allemagne un cosmopolitisme auquel n’échappa point Lessing lui-même, si Allemand par le génie. Lessing n’avait pas honte de dire que « du patriotisme il n’avait nulle idée, que c’était là tout au plus une sorte de faiblesse héroïque dont il était aise d’être exempt. » L’occupation napoléonienne ne diminua en aucune façon la francomanie. La gloire du vainqueur se reflétait sur les états subjugués qui acceptaient leurs chaînes avec une étonnante résignation. Pas plus que Lessing, Goethe, le plus grand des Allemands, ne connut l’amour de la patrie. L’Allemagne était une fiction géographique à ses yeux. Napoléon lui inspira un moment d’enthousiasme passionné, et on connaît de lui ces paroles étranges : « J’ai souvent éprouvé un amer chagrin en songeant que les Allemands, si honorables individuellement, sont si misérables en masse. La comparaison entre ce peuple et les autres nations éveille toujours en moi un sentiment pénible auquel je m’efforce d’échapper. » Ajoutons qu’il y a bien peu d’années encore M. de Bismarck trouva l’occasion d’adresser à ses compatriotes le reproche que Goethe eût mérité d’encourir : « Je voudrais, dit-il, attirer l’attention de ceux qui cherchent leur idéal outre-Rhin et outre-mer, sur un trait caractéristique des Français et des Anglais : ce fier sentiment de l’honneur national qui empêche de tomber en admiration devant toutes les institutions étrangères, comme c’est malheureusement le cas chez nous. » Il est vrai que nous avons peu de mérite peut-être à ne rien envier à nos voisins d’Allemagne, sous le rapport des manières du moins ; mais quant au reste, M. de Bismarck doit être satisfait. Le patriotisme prussien s’est exaspéré depuis peu jusqu’à devenir oppressif, et déjà l’on est tout près d’oublier qu’il n’a pas toujours mérité ce reproche.


III

La partie la plus intéressante peut-être de ce livre, celle où l’on trouve le plus d’esprit et de verve, c’est toute la partie qui traite