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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/700

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reçoivent tout naturellement comme y ayant droit, et sert ses hôtes, les amis du maître, avec un zèle attentif qui met au supplice tout étranger invité dans une maison allemande.

L’enfant vient-il à naître, on le comprime, on en fait un martyr dès son premier souffle. Les longues bandelettes qui le réduisent à l’état de momie ne sont renouvelées que deux fois par jour au plus ; jamais on ne le baigne ; on lui laisse religieusement jusqu’à l’âge de huit ou dix mois la coiffe de crasse qui doit lui assurer une belle chevelure ; vous ne persuaderez pas aux mères et nourrices allemandes que le dernier roi de Hanovre n’ait dû d’être aveugle à un excès de propreté. Le misérable poupon, serré dans ses bandelettes, est porté dans un pli du manteau de sa bonne, vaste pelisse qui se relève sur la hanche. Ce système, assez semblable à celui des squaws américaines, produit plus d’une déviation de l’épine dorsale. Si les soins de la nourrice auxquels l’enfant reste abandonné pendant les premiers mois nous paraissent peu judicieux, ceux de la mère qui leur succèdent sont, presque sans exception, des plus dévoués et des plus tendres. L’art allemand a été particulièrement inspiré par l’amour maternel, que la poésie a chanté en vers immortels ; la langue même, avec son luxe de diminutifs, se prête mieux qu’aucune autre aux caresses parlées : les mots charmans Mütterlein, Kindlein, échangés entre la mère et l’enfant, ne sont pas traduisibles. Et non-seulement la mère se dévoue, mais elle s’efface ; elle perd tout soin d’elle-même, tout souci de sa propre personnalité. Aussitôt que les enfans sont nés, il n’est plus question que d’eux, tout leur appartient : l’Allemande qui a des filles n’est plus qu’une vieille femme, elle rougirait de penser à sa propre toilette. Les privations ne lui coûtent pas plus que ne lui ont pesé ses chaînes ; elle est heureuse, et dans ce rôle d’incessant sacrifice nous sommes forcés de l’admirer. Mais comment arrive-t-il que ces créatures exemplaires aient parfois recours au divorce ? demandera-t-on.

Le divorce n’existe guère dans les classes moyennes, et ailleurs même il est très rare, bien qu’on puisse l’invoquer sous le prétexte le plus futile. D’autre part, les époux divorcés ne se gardent point rancune ; là encore reparaît la bonhomie native. Voici deux cas de divorce assez curieux : dans le premier cas, deux frères avaient épousé les deux sœurs ; à l’amiable ils échangèrent leurs femmes, puis, la mort ayant fait une brèche dans chacun des ménages, les deux veufs se réunirent de nouveau. Le second cas survint dans la famille même de l’auteur de German home life. Un de ses grands-oncles, tous les soirs, jouait le whist avec ses trois femmes divorcées : celles-ci disaient gaîment entre elles qu’il n’avait jamais été un partenaire supportable qu’au jeu.