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ce n’est qu’une affaire d’humanité, s’il ne s’agit que de mettre fin à des poursuites dirigées contre d’obscurs égarés de cette fatale insurrection, la question est tranchée d’avance. Une lettre solennelle de M. le président de la république a donné toute satisfaction. Depuis dix-huit mois, le nombre des poursuites est à peu près insignifiant, et parmi ceux qui sont tombés sous le coup d’une action judiciaire, pas un seul n’aurait été excepté par la mesure nouvelle pour laquelle on fait tant de bruit. N’importe, la chambre des députés y a tenu, ou du moins elle n’a pas su résister à ceux qui se sont efforcés de l’entraîner dans cette voie, elle n’a pas voulu écouter M. le garde des sceaux. La loi a été votée avec des amendemens qui en réduisent l’importance, il est vrai, mais qui en maintiennent le principe. Cette loi, elle est aujourd’hui devant le sénat, et la meilleure chance qu’elle puisse avoir dans la haute chambre est d’être adoptée avec des atténuations nouvelles proposées par un jurisconsulte distingué du centre gauche, M. Bertauld. La commission sénatoriale, quant à elle, propose de rejeter l’œuvre tout entière. Qu’arrivera-t-il maintenant ? Si la loi est rejetée, on n’aura rien fait. Si elle est adoptée avec l’amendement de M. Bertauld, on n’aura pas fait beaucoup plus, puisque la justice a spontanément cessé de poursuivre ceux qui se trouveraient couverts par la loi nouvelle. Non, on n’aura rien fait dans aucun cas ; mais on aura eu l’air de faire quelque chose, et c’est peut-être tout ce qu’on veut. Seulement, pour ce quelque chose sans caractère sérieux et sans efficacité, on aura réveillé des passions et des espérances parmi ceux qui en sont encore à célébrer les lugubres anniversaires de la commune, on aura paru laisser la porte ouverte à des propositions nouvelles d’amnistie, on aura, en fin de compte, mis le gouvernement dans l’embarras en prétendant le soutenir dans l’intérêt de la république, et voilà le danger de ces questions agitatrices.

C’est là l’erreur d’une partie assez considérable de cette majorité républicaine envoyée à Versailles par les dernières élections. Tous ces nouveaux députés, encore enivrés de leur victoire, sont obsédés de cette idée certainement dangereuse qu’ils sont appelés à tout réformer, qu’ils peuvent toucher à tout, qu’ils sont pour le moins tenus de « faire quelque chose, » et comme après tout beaucoup parmi eux ont assez de modération naturelle pour comprendre le péril d’entreprises trop radicales sur certains points, ils prennent, pour ainsi dire, leur revanche dans les détails, ils tournent la position. Ils portent leur activité un peu fébrile dans le budget. Ils ne voient pas que, même dans le budget, quelle que soit leur puissance, ils sont liés par les lois qui existent, tant que ces lois existent, tant qu’elles n’ont pas été régulièrement modifiées. Lorsqu’ils croient pouvoir supprimer sommairement les aumôniers militaires par la suppression du crédit affecté à leur traitement, ils oublient ou ils feignent d’oublier que ces aumôniers ont été créés par une loi spéciale, qu’ils sont mentionnés et classés dans la loi