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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/727

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DE
YEDDO A PARIS
NOTES D'UN PASSANT.


6 mars, rade de Yokohama.

Tout dort déjà à bord du Sunda, steamer de la Compagnie péninsulaire et orientale, lorsque, à onze heures, je saisis le tire-veille et monte à l’échelle de tribord. Le navire doit partir demain au point du jour ; il a fini le chargement de sa cargaison, rempli ses soutes à charbon, fait ses approvisionnemens de vivres pour une traversée de huit jours ; hommes et machines se reposent cette nuit pour la dernière fois, en toute sécurité, dans la rade paisible de Yokohama, tandis que le paquebot suit insensiblement le mouvement de la marée, qui le fait pivoter sur ses ancres. C’en est fait, la dernière coupe de champagne a été vidée tout à l’heure, le dernier toast a retenti ; le sampang, qui s’éloigne et regagne le rivage, emporte le dernier ami qui m’ait serré la main : le long du bund, les lumières dont chacune signale une maison familière où se sont passées de douces heures, s’éteignent une à une ; on n’entend plus que le faible clapotement de l’eau le long du bord, et le son métallique de la cloche des divers navires à l’ancre autour du nôtre, qui pique l’heure à intervalles réguliers. Combien de fois j’ai appelé de mes vœux ce moment du retour ! et cependant ce n’est pas sans un déchirement que je le vois arriver. On a beau sentir la patrie qui vous appelle, le foyer qui vous attend, on ne peut après quatre ans de séjour s’arracher brusquement, sans regarder en arrière, à cette nouvelle patrie qu’on s’est faite par l’habitude et l’amitié, au milieu d’un cercle intime et restreint, ni rompre d’un cœur léger des liens qui ne se reformeront plus. Dans la vie