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a remis à deux jours sa sentence pour rechercher les autres coupables et condamner tout le monde à la fois, en me dispensant très courtoisement de me représenter. Le surlendemain en effet, les huit coulies, reconnus à leurs vêtemens mouillés (ils auraient eu peine à en changer) et amenés devant le juge, étaient condamnés chacun à cinq piastres d’amende ou quatorze jours de travaux forcés.

Cet incident terminé, je reprends la flânerie du touriste, et me remets à parcourir les rues animées et les quais turbulens de la ville. Si l’on voulait donner à quelqu’un une idée imposante de la race anglaise, c’est ici qu’il faudrait le conduire, pour lui montrer tout ce que l’énergie et l’âpre volonté d’une nation peuvent accomplir, en dépit de la nature et des saisons. Sur les pentes abruptes et presque inaccessibles d’un îlot stérile et désolé de 30 milles carrés par 1/2 degré du tropique du Cancer, exposé aux ardeurs d’un soleil implacable, aux typhons, aux pluies énervantes, l’Angleterre a conçu le projet audacieux de créer un port franc destiné à être l’entrepôt du commerce entre l’Europe et la Chine méridionale ; elle a trouvé à Victoria un mouillage convenable, et sans hésiter a jeté là de vive force une ville qui compte aujourd’hui 80,000 âmes, dont 3,950 Européens. Le terrain plat manquant, il a fallu étager les constructions en terrasse sur les flancs des montagnes exposées au nord, où ne souffle pas la moindre brise, pendant toute la mousson de sud-ouest ; il a fallu tracer des rues en lacets où les voitures ne peuvent monter, maçonner des terrasses, planter des jardins, créer un sol artificiel, construire des routes au flanc des coteaux, pour circuler dans l’île, appeler une population indigène très nombreuse et entretenir une police considérable pour la surveiller. Sous ce ciel inhospitalier, le négociant qui sent arriver la fortune veut se donner tout le confort que lui peuvent offrir les raffinemens de la civilisation à défaut des faveurs du climat, et les villas qui s’entassent les unes, dominant le toit des autres, si elles ne réalisent pas toujours le type de l’élégance parfaite, forment du moins un ensemble des plus pittoresques. Vue de loin, Victoria rappelle ces villes de palais superposés qu’on voit au sud de l’Italie baigner dans la Méditerranée leurs assises bariolées. Si l’en parcourt les rues, on rencontre des constructions spacieuses, les hôtels, le club, les banques, les casernes, le city-hall, le palais du gouverneur, où l’on a essayé de lutter par l’immensité des appartenons et l’épaisseur des murailles contre l’inclémence de la température. Une propreté admirable, une variété inouïe d’étalages, une animation constante font de ces aspects extérieurs l’un des plus curieux spectacles qui puissent s’offrir aux yeux d’un voyageur qui les voit pour la première fois.

L’Européen circule vêtu de blanc de la tête aux pieds, coiffé du