Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/734

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

casque, rarement à pied, quelquefois en tilbury dans les rues qui portent voiture, le plus souvent dans la chaise à porteurs, vigoureusement manœuvrée par deux coulies auxquels les résidens imposent généralement une livrée de fantaisie. Le marchand chinois se tient patiemment dans sa boutique, fumant avec gravité sa longue pipe au fourneau microscopique ; l’homme de peine se fraye difficilement un chemin au milieu des passans, les avertissant par un petit cri guttural et saccadé de ne pas se heurter au double fardeau qu’il porte suspendu aux deux extrémités d’un bâton passé sur son épaule. Le policeman anglais, chinois ou hindou, qu’on rencontre à chaque, pas, (se promène gravement le bâton à la main et voit tout du coin de l’œil. De pauvres diables défendent comme ils peuvent un étalage en plein vent, dont l’aspect et l’odeur, repoussans pour nos sens exotiques, sont, paraît-il, des plus affriolans pour les yeux et les narines des fils du Céleste-Empire. Au milieu de tout cela, on crie, on se bouscule, on se dispute, mais le tout rapidement, comme des gens qui n’ont pas de temps à perdre et que le gain appelle bien vite ailleurs. Le Chinois, actif, laborieux, âpre au lucre, semble au premier abord fait pour subir le joug de l’Anglais pratique et infatigable qui se sert de lui en l’enrichissant.

Cependant, malgré son caractère pittoresque et ce mélange original de la civilisation de l’Occident juxtaposée à celle de l’extrême Orient, Hong-kong ne retient pas. Tandis que les véritables beautés de l’art ou de la nature nous enchantent d’autant plus que nous les revoyons plus souvent, tandis que nous arrivons à nous faire une habitude et une nécessité de revoir périodiquement des merveilles comme Venise ou le lac Léman, — ce qui ne nous a séduits au premier abord que par la bizarrerie et par l’imprévu nous charme de moins en moins par la suite ; à une seconde visite, le souvenir de la première s’efface plutôt qu’il ne se ravive, il ne reste plus dans l’esprit qu’une image fruste et décolorée qui échappe à la description. Le voyageur débarqué d’hier est plus capable de tracer le tableau d’une pareille ville que le résident, dont les yeux blasés ne perçoivent plus mille détails auxquels l’étrangeté seule donne quelque relief. Par contre, un des charmes du voyage, pour quiconque a habité quelques années ces pays lointains, c’est de s’y retrouver à chaque étape dans un milieu sympathique dont on connaît d’avance le ton et où l’on se trouve introduit de plain-pied par une communauté d’idées, de manières pu de relations. L’échange de communications entre la Chine et le Japon est assez considérable, et le cercle européen dans chaque ville est assez restreint pour qu’un Français de Yokohama ne puisse circuler dans les rues, les hôtels, les clubs à Hong-kong sans y rencontrer quelques visages de connaissance et recevoir plus d’une invitation cordiale. La présence du