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fortune, qu’il redevint exigeant dès qu’il crut avoir ressaisi la victoire, et qu’en tenant ainsi les alliés toujours en haleine, il les entraîna à poursuivre la guerre, à considérer l’invasion de la France comme une condition nécessaire de la paix, et, la France une fois envahie, à élever de nouvelles prétentions à mesure que la supériorité de leurs forces se déclarait avec plus d’évidence.

Bien que l’opinion publique en Angleterre se prononçât avec passion contre toute paix qui n’aurait pas réduit la France à ses limites de 1792, lord Castlereagh inclinait vers la modération, et il était disposé à négocier sur les bases posées par Metternich ; mais il entendait que les négociations ne suspendissent pas les hostilités. Il y avait d’ailleurs des divergences assez sérieuses dans le camp des alliés, et Metternich, qui était parvenu à ramener les partisans de la guerre à outrance aux conditions de Francfort, ne parvint pas à les arrêter. « Il est certain, écrivait Gentz, que l’acceptation de ces bases générales fut politiquement, pour les alliés, une victoire tout aussi importante et beaucoup plus décisive que ne l’avait été militairement celle de Leipzig. Cependant leur ardeur à poursuivre la guerre n’en fut nullement affectée. Le parti russe et prussien frémissait de l’idée seule de déposer les armes sans avoir tiré de Napoléon ce qu’ils appelaient une vengeance complète, et sans avoir enlevé à la France la totalité de ses conquêtes depuis 1792. Quelques-uns prétendaient même en détacher toutes les provinces qui bordent la rive gauche du Rhin et déterminer la nouvelle frontière par les deux chaînes des Ardennes et des Vosges. » L’empereur Alexandre se montrait le plus ardent à la continuation de la guerre ; « il s’était, dit Gentz, pour ainsi dire échappé de Bâle pour n’être pas présent aux premières conférences avec lord Castlereagh dont on lui avait vanté la modération. La rage d’aller à Paris le rendait sourd à toutes les remontrances. » Ce fut, assure M. Martens d’après les documens officiels russes, grâce à sa fermeté que les troupes alliées franchirent la frontière française, et Gentz affirme que les mouvemens « audacieux et arbitraires » par lesquels Blücher exposa deux fois l’armée alliée au danger le plus imminent, étaient secrètement concertés avec l’empereur de Russie.

Les victoires de Napoléon commandèrent aux alliés plus de prudence, Metternich y puisa de nouveaux argumens pour le système de la modération qu’il ne cessait de recommander ; mais on était en France, et, disait Gentz, « l’expédition de France une fois en train, il serait sans doute d’un mauvais augure pour la tranquillité future de l’Europe que les puissances fussent obligées de renoncer à tous les fruits de cette entreprise et de constater, par un aveu, formel, que leurs efforts n’ont jamais pu les conduire au-delà des bases du Rhin, des Alpes et des Pyrénées. » La modération