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par âme, c’est-à-dire près de 40 pour 100[1]. Outre la capitation générale levée sur les différentes classes de paysans et aussi sur les bourgeois urbains de Sibérie et les juifs agriculteurs, il y a la capitation spéciale prélevée sur les voituriers, les anciens cosaques de la Petite-Russie, les Tatars et les habitans de Bessarabie, capitation d’un taux souvent supérieur. Ainsi les voituriers paient de 6 à 14 roubles. En sus des contributions personnelles portées au budget de l’état viennent les impositions personnelles locales. Les communes et parfois les provinces ont aussi leur capitation, dont le chiffre inconnu doit, pour l’ensemble de l’empire, être considérable. Un savant économiste russe, M. V. Bezobrazof[2], estimait, il y a quelques années, à environ 3 roubles 80 kopeks par âme la contribution personnelle des classes soumises à la capitation, sans y comprendre les taxes communales. Avec les prestations en nature pour l’entretien des chemins ou pour les chevaux de transport, le même savant faisait monter les impositions personnelles à 4 roubles 1/2 par âme, c’est-à-dire par mâle. Il faut remarquer que ces taxes semblent d’autant plus accablantes que naguère encore, grâce à l’intermédiaire du seigneur, le serf en acquittait une grande partie en nature.

Ce chiffre, si élevé qu’il puisse paraître dans un pays relativement encore pauvre, est loin de comprendre toutes les charges incombant aujourd’hui au moujik. Le paysan de la couronne paie au fisc, sous forme de capitation spéciale, une redevance qui, bien que justifiée par la jouissance des terres de l’état, participe de l’impôt, en ce sens que c’est l’état propriétaire qui fixe et impose au cultivateur la rente à payer pour l’usage du sol. L’ancien serf des particuliers supporte une charge analogue temporaire, il est vrai, mais souvent lourde pour la génération actuelle, c’est l’indemnité de rachat due par les serfs affranchis pour les terres qui leur ont été concédées lors de l’émancipation. Il y a de ce chef aujourd’hui une grande inégalité parmi les paysans de cette classe. Si la terre n’avait jamais été comptée au-dessus de sa valeur, on ne saurait ranger cette juste indemnité à l’ancien propriétaire à côté des charges fiscales. Par malheur, il n’en a pas toujours été ainsi : dans beaucoup de régions, dans les pauvres contrées du nord et de l’ouest surtout, la dette de rachat est, comme je l’ai montré, hors de proportion avec le rendement de la terre et constitue pour le paysan une seconde capitation plus pesante que la première[3]. D’ordinaire

  1. Golovatchef, Deciat lêt reform : Finansovaia reforma, p. 61.
  2. Vladimir Bezobrazof, Etude sur les revenus publics de la Russie, p. 46. Saint-Pétersbourg 1872.
  3. Les annuités à recevoir de ce chef en 1875 étaient fixées à 40 millions de roubles, et, comme tous les paysans affranchis n’ont pas encore procédé au rachat, ou ne se sont point servis de l’intermédiaire de l’état, cette dette devait représenter environ 4 roubles par âme. Voyez, pour les détails, la Revue du 15 mai 1876.