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l’impôt direct fût étendu à toutes les classes et que le revenu de la terre en fût la seule base. La question est ainsi demeurée à l’étude, et en attendant que l’on ait effacé cette marque d’inégalité, le paysan reste soumis à l’impôt des âmes tout comme au temps du servage.

Ce ne sont pas seulement les idées théoriques d’égalité ou de justice qui réclament une réforme, c’est l’intérêt de la richesse nationale et du fisc lui-même. Le poids de la capitation est lourd, et, chose triste, au lieu d’être allégé, il a été aggravé depuis l’émancipation, en sorte que le paysan n’a connu la liberté qu’avec des charges inconnues à la servitude. Cette augmentation de la taxe semblait cependant, comme on l’a fait remarquer, en contradiction indirecte avec le principe même de l’émancipation, dont le but était l’affranchissement du travail. Les besoins du trésor ont fait la loi ; le serf, délié de ses liens, a été obligé de travailler pour l’état et de lui payer des redevances d’autant plus fortes qu’il n’en avait plus d’autres à acquitter. Si la libération des paysans ne paraît pas avoir produit tous ses effets, l’aggravation des impôts n’y est point étrangère. Un signe, du reste, que le contribuable pliait sous le faix, c’est que, dans les premières années au moins, le rendement de la capitation n’a pas été en proportion de l’élévation de l’impôt. Le chiffre de la capitation est, comme au temps du servage, fixé sur le chiffre des paysans mâles d’une commune. D’un recensement à l’autre, le nombre des âmes assujetties à l’impôt reste invariable. Le fisc ne tient compte ni des naissances, ni des décès ; c’est, on le sait, sur cet usage que Gogol a fondé la singulière spéculation du héros de son roman des Ames mortes. Aussi n’est-ce pas l’individu, c’est la commune qui est responsable de l’impôt vis-à-vis de l’état. La répartition de cette charge solidaire se fait par la commune elle-même. J’ai montré récemment comment, en faisant peser la taxe sur les lots de terre communale qu’ils se partagent, les paysans peuvent ramener indirectement la contribution personnelle à une sorte d’impôt foncier[1].

Le taux de la capitation varie suivant les régions et suivant les différentes catégories de paysans entre lesquelles se subdivise la population rurale. Descendant à 1 rouble 18 kopeks[2] par âme chez les sujets russes de race finnoise ou tatare du gouvernement de Tobolsk, l’impôt monte à 2 roubles 61 kopeks pour les colonistes allemands du district d’Odessa. En 1867, il était l’un dans l’autre de 1 rouble 29 kopeks ; on y a ajouté en moyenne un demi-rouble

  1. Voyez la Revue du 15 novembre.
  2. Le kopek est la centième partie, le centime du rouble ; si ce dernier était au pair, c’est-à-dire à 4 francs, le kopek vaudrait donc 4 centimes.