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d’une année exceptionnellement favorisée par les récoltes semble pour le moment marquer l’apogée de la taxe. L’exercice 1875 n’est cependant resté que de 3 millions au-dessous de l’année précédente. L’arrêt dans la progression depuis 1874 n’en semble pas moins indiquer que, si la limite de la taxation n’a pas été dépassée, elle a été atteinte, et que toute augmentation des droits ne saurait profiter qu’à la fraude.

Une autre cause pourrait dans l’avenir entraver le rendement de la taxe et fomenter la contrebande : c’est le zèle plus ou moins éclairé des philanthropes, fonctionnaires ou particuliers, qui, pour diminuer l’ivrognerie, s’efforcent de restreindre le nombre des cabarets. Aux kabaks, où se vend l’alcool, on cherche en certaines localités à substituer les gostinitsy, où se boit le thé. Comme en Angleterre, le teatotalism a quelques apôtres, mais peu de prosélytes, et la propagande en est encore moins redoutable pour le fisc qu’aux îles britanniques. L’administration des finances est cependant obligée d’être sur ses gardes. Les municipalités, en cela soutenues par le ministère de l’intérieur, ont prétendu qu’il ne pouvait s’établir de débit de boissons dans l’enceinte de leur juridiction sans l’assentiment de l’autorité municipale. Or, dans certaines communes, il se produit à cet égard une tendance louable en son but, mais parfois imprudente dans ses moyens. De leur propre mouvement ou sous l’impulsion de fonctionnaires publics désireux de se faire la réputation d’hommes éclairés, certaines communes rurales décident qu’elles ne toléreront plus de cabaret sur leur territoire. Le plus souvent cette résolution, alors même qu’elle est unanime, ne reçoit qu’une exécution apparente. Au kabak ostensible et patenté succède le débit clandestin ; le fisc y perd beaucoup, l’ivrognerie peu de chose[1]. En d’autres communes, il y a un abus d’un autre genre : l’autorité municipale vend aux cabaretiers le droit de s’établir an village, ce qui revient au monopole du commerce des eaux-de-vie : de là prélèvement indirect d’un impôt supplémentaire et nouvel encouragement à la fraude. Dans un pays où l’alcool a un rôle aussi public, aussi national, tout ce qui touche à la production ou à la vente des spiritueux a une importance générale. Aussi le kabak est-il en ce moment l’objet de vives polémiques de la part des journaux, et donne-t-il lieu à des contestations entre les diverses administrations et les différens ministères. La question des cabarets est une des grosses questions du moment ; c’est celle,

  1. Dans les villes même, le nombre des cabarets a été considérablement réduit. D’après un article récent du Vestnik Evropy, le chiffre des cabarets de Moscou s’est abaissé depuis 1875 de 951 à 240, et le commerce clandestin de l’eau-de-vie a crû d’autant.