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comme le prétend Schulze-Delitzsch ? Non, répond Lassaile, « la loi d’airain » du salaire s’y oppose. Qu’est-ce que cette loi d’airain, das eherne Lohngesctz, qui est le fondement de toutes ses déductions ? C’est celle en vertu de laquelle dans la société telle qu’elle est, et sous l’action de l’offre et de la demande, le salaire moyen est réduit à ce qui est indispensable pour permettre à l’ouvrier de vivre et de se perpétuer. C’est là le niveau vers lequel gravite, dans ses oscillations, le salaire effectif, sans qu’il puisse se maintenir longtemps ni au-dessus ni au-dessous. Il ne peut rester d’une façon durable au-dessus de ce niveau, car par suite d’une plus grande aisance le nombre des mariages et des naissances s’accroîtrait dans la classe ouvrière ; ainsi le nombre des bras cherchant de l’emploi ne tarderait pas à augmenter, et, s’offrant à l’envi, la concurrence ramènerait le salaire au taux fatal. Il ne peut pas non plus tomber au-dessous de ce niveau, car la gêne et la famine amèneraient la mortalité, l’émigration, la diminution des mariages et des naissances, et par suite une réduction du nombre des bras. L’offre de ceux-ci étant moindre, le prix hausserait par la concurrence des maîtres se disputant les ouvriers, et le salaire se trouverait ainsi ramené au taux normal. Les périodes de prospérité et de crise que traverse constamment l’industrie produisent ces oscillations, mais la « loi d’airain » ramène toujours la rétribution du travailleur au minimum de ce qui lui est indispensable pour subsister. Il se peut que par suite des progrès de l’industrie, ce minimum se modifie. Le standard of life, la manière de vivre de l’ouvrier et les besoins qu’il considère comme de première nécessité ont certainement changé. Ainsi au moyen âge il ne portait pas de linge et il marchait souvent pieds nus, tandis qu’aujourd’hui des souliers et une chemise sont considérés comme indispensables. Il consomme plus d’objets manufacturés et moins de denrées animales. Il s’agit donc d’un minimum, à une certaine époque, qui sera celui au-dessous duquel l’ouvrier cessera de se marier, de se reproduire, ou de pouvoir élever ses enfans.

« La loi d’airain » du salaire n’est qu’une application particulière de la loi générale qui règle le prix des marchandises et qui est un des lieux communs de l’économie politique. Sous ce rapport, il faut distinguer trois espèces d’objets. Il y a d’abord ceux qu’on ne peut point créer à volonté, comme les statues antiques et les tableaux des anciens maîtres. Le prix de ces objets se détermine non par les frais de production, puisqu’on ne peut les reproduire, mais par ce que les amateurs veulent bien en donner. D’autres objets peuvent être augmentés en nombre dans certaines limites, mais avec une difficulté croissante. Pour ceux-là, ce sont les frais de