Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivit à ses amis et à celle qui l’abandonnait pendant ce mois d’août, où se décida son sort. Télégrammes fiévreux lancés à chaque instant, démarches extraordinaires, instances frénétiques, emportemens, courses à toute vapeur dans toutes les directions, c’est le tableau émouvant de la vie moderne, nerveuse et suréchauffée.

Lassalle revint à Genève, vers la fin du mois, avec une lettre du ministre des affaires étrangères de Bavière, qui devait, espérait-il, décider M. de Dœnniges à lui accorder une entrevue avec Hélène : il était convaincu qu’elle ne résisterait pas à sa voix et à son influence personnelle ; mais elle refusa absolument de le voir. Transporté de colère, il demanda en termes insultans une réparation à M. de Dœnniges. Ce fut Rackowitz qui se présenta pour répondre à la provocation. Ses deux témoins, le docteur Arndt et le comte Kaiserlingk, qui devait épouser la sœur d’Hélène, exigèrent la restitution des lettres de celle-ci. Le colonel Rüstow et le général hongrois Bethlen, témoins de Lassalle, refusèrent absolument. Le duel dès lors fut voulu par les deux adversaires. Il eut lieu le 28 août dans les environs de Carouge. Au premier coup de feu échangé, Lassalle tomba mortellement blessé ; il expira à l’hôtel Victoria, à Genève, trois jours après. Mme de Hatzfeldt ramena son corps en Allemagne par le Rhin ; ce fut comme un convoi triomphal ; à son passage à Mayence, une cérémonie imposante fut organisée principalement par les soins du clergé catholique. Pour mettre un terme à ces manifestations qui remuaient le parti socialiste dans l’Allemagne entière, la police saisit le cercueil à Cologne au nom de la famille, et le dirigea sur Breslau : il y fut enterré dans le cimetière israélite. Dans les principales villes, les associations ouvrières voulurent honorer sa mémoire par des cérémonies funèbres, où il fut présenté comme le martyr du socialisme. L’impression fut si profonde que beaucoup de gens du peuple crurent et croient encore qu’il n’était pas mort et qu’il reviendrait dans sa gloire, pour présider à la grande révolution et à la réorganisation de la société. Il se constitua ainsi un parti lassai lien, qui s’est maintenu et qui ne s’est pas encore complètement fusionné avec le socialisme international de Karl Marx.


II

Nous essaierons d’exposer les idées de Lassalle dans leur ensemble sans nous astreindre à analyser ses nombreuses publications, qui furent toutes des écrits de circonstance. Sous le régime social actuel, l’ouvrier peut-il par ses propres efforts améliorer son sort,