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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/890

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« propriété » aujourd’hui devrait s’appeler « altruité. » Eigenthum ist Fremdenthum. — Mais du moins, reprend l’économiste, vous ne nierez pas que le chef d’industrie a droit à une rétribution pour ses capacités, pour ses soins, pour sa direction, et en même temps à une prime pour couvrir ses chances de perte. Le profit de l’industriel n’est en réalité qu’un salaire, et s’il est plus grand que les autres, c’est uniquement parce qu’il rémunère le service le plus essentiel dont dépend le succès de l’entreprise et parce qu’il est aléatoire. — C’est vrai, dit Lassalle, la direction mérite salaire ; mais dans les grandes compagnies sont-ce les directeurs qui jouissent des bénéfices ? Non, ce sont les actionnaires, qui ne dirigent rien, et, dans les entreprises particulières, la rémunération du propriétaire est hors de proportion avec le service rendu. Quant au risque que la prime doit couvrir, il existe pour Jean, Pierre ou Paul, mais pas pour la classe entière des chefs d’industrie, considérée dans son ensemble. Ce que Jean perd, Paul le gagne, et la statistique prouve que la masse des profits va croissant et qu’elle est immense. La classe touche donc une prime pour un risque qui en réalité n’existe pas. D’ailleurs le fait qu’il y a un risque prouve une imperfection dans l’organisation industrielle. Ce qu’il faut faire ce n’est donc pas payer une prime, mais c’est faire disparaître la cause qui justifie la prime et qui la rend nécessaire. Ce sera le résultat d’une organisation meilleure. Cette organisation, quelle sera-t-elle ? voilà ce que Lassalle va nous faire connaître.


III

Aujourd’hui le travailleur est au service du capital. C’est le monde renversé. Normalement, c’est le capital qui doit être au service du travailleur. L’homme crée le capital pour l’aider dans son travail ; il ne faut pas qu’il travaille au bénéfice du capital. Il est bon qu’il l’exploite, mais non qu’il en soit exploité. Au lieu du salaire, toujours réduit au minimum par la « loi d’airain, » il faut que l’ouvrier obtienne tout le produit de son travail. Le capital et le travail, au lieu d’être en guerre, doivent vivre et agir en paix. Le moyen est facile : qu’on les réunisse dans les mêmes mains. Pour atteindre ce résultat, qui serait la transformation de la société actuelle, il n’est pas besoin de chercher du nouveau ou de se lancer dans des utopies. Il suffit de favoriser le développement d’institutions qui fonctionnent déjà sous nos yeux dans différens pays. Ces institutions sont les sociétés coopératives de production. Les ouvriers y sont propriétaires du capital ; ils dirigent l’entreprise et en tirent tout le profit. Ainsi le capital est mis au service du travail,