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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/919

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C’est certainement à cette époque qu’il faut faire remonter la brouille d’Henri IV et de Bouillon. En voici un indice : nous trouvons dans les archives de Hollande une lettre de Bouillon au prince Jean de Nassau, où il lui demande la main de Charlotte-Brabantine de Nassau, la sœur de la duchesse de Bouillon, pour son cousin-germain, Louis de La Trémoille (21 juillet 1597). Il y parle au nom des églises protestantes : Henri IV fut justement irrité que Bouillon eût fait cette demande en personne comme prince souverain. La Trémoille, qui avait été un des compagnons les plus fidèles du roi, était irrité de voir celui-ci prodiguer ses faveurs aux anciens ligueurs. Il avait contracté des dettes en levant et entretenant des régimens ; Henri IV avait érigé pour lui le duché de Thouars en pairie, mais La Trémoille, zélé protestant, ne pouvait pardonner au roi sa conversion. Les deux cousins, La Trémoille et Bouillon, mariés à deux filles de Guillaume le Taciturne, devinrent peu à peu et presqu’à leur insu les chefs des derniers mécontens. Il n’y a pas, pour l’historien moraliste, de spectacle plus triste que celui de ces grandes, longues et périlleuses amitiés qui finissent par porter les fruits amers du doute, de la méfiance, des colères sourdes, et qui enfin se retournent pour ainsi dire en haine. La Trémoille était d’âme simple, Bouillon avait pris sur lui le plus grand empire et le traîna à sa suite dans le dédale où se plaisait son âme noire, féconde en ruses, en plans ambitieux et compliqués. Il lui montrait D’Épernon, qui avait ouvertement traité avec Philippe II, conservant une sorte de souveraineté, Mayenne recevant le gouvernement de Bourgogne, des places de sûreté, des sommes énormes pour ses dettes. Il était dur pour des hommes comme La Trémoille et Bouillon, qui avaient été les premiers à l’honneur, de ne pas être les premiers à la gloire ; mais la vraie grandeur consiste à être toujours supérieur à la fortune. Pardonner à ses ennemis est chose bien facile : ce qui est difficile, c’est de pardonner à ses amis.

Les torts les plus graves furent pourtant du côté de Bouillon. Pendant le siège d’Amiens, il empêcha beaucoup de seigneurs calvinistes de joindre l’armée royale. Il s’était fait le meneur des églises ; il voulait forcer le roi de donner un état aux 2 millions de religionnaires, des places où ils pourraient en sûreté tenir leurs assemblées. Il n’alla ni à celle de Saumur, ni à celle de Loudun, mais il envoya à l’assemblée de Vendôme un long mémoire où il faisait le programme des exigences calvinistes. Il se rendit de sa personne à l’assemblée de Châtellerault, où le roi avait envoyé ses commissaires, De Thou, Schomberg et d’autres. Schomberg lui lut une lettre que le roi lui avait écrite devant Amiens (2 août 1597) : « Mon cousin le duc de Bouillon n’arrivera jamais sitôt que je le