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du roi. Vassignac et Reignac, qu’il avait laissés dans Turenne, prirent la fuite, furent condamnés et exécutés en effigie.

Sedan restait toujours fermé : Bouillon remuait ciel et terre ; les cantons suisses, les Nassau, les États, la république de Strasbourg, le roi Jacques, les princes allemands, grands et petits. Henri IV fit tranquillement ses préparatifs et se mit en campagne ; quand il arriva à Donchery, Bouillon, qui avait reçu secrètement des avis de la reine, offrit de traiter et obtint d’avoir une conférence avec Villeroy. Il céda sur tous les points, consentit, pour obtenir des lettres d’abolition, à livrer Sedan avec le château et à y recevoir une garnison royale pendant quatre ans. Il alla trouver à Donchery le roi, qui le reçut dans son lit de la meilleure humeur, sans faire d’allusions au passé. Henri IV fit son entrée à Sedan ; il y resta trois jours et écrivit en partant à Louise de Coligny : « Ma cousine, je dirai comme fit César : Veni, vidi, vici, ou comme la chanson :


Trois jours durèrent mes amours,
Et se finirent en trois jours,
Tant j’étais amoureux…


de Sedan. Cependant vous pouvez maintenant dire si je suis véritable ou non, ou si je savais mieux l’état de cette place que ceux qui me voulaient faire croire que je ne la prendrais de trois ans. M. de Bouillon a promis de me bien et fidèlement servir, et moi d’oublier tout le passé. » (2e d’avril 1606, à Donchery.)

Le roi se montra plus généreux que n’avait été Villeroy : au bout d’un mois, il retira la garnison de Sedan, où Bouillon redevint le maître ; il ne semble guère douteux que le roi fut surtout porté à se conduire avec cette douceur par la grande amitié qu’il éprouvait pour Louise de Coligny et par le désir de ménager les Nassau et les États de Hollande. Il s’était convaincu que Bouillon était plutôt coupable d’avoir su quelque chose de la conspiration de Biron que d’avoir conspiré lui-même. Il eut pitié d’un ancien frère d’armes. La principauté de Sedan était comme un rideau derrière lequel il comptait un jour masser ses forces contre l’Autriche : il s’en crut assez maître en y laissant Bouillon et voulut sans doute tromper par son apparente indifférence les gouverneurs des Pays-Bas autrichiens en même temps qu’éloigner Bouillon de Turenne et des provinces du midi, où remuaient les églises protestantes les plus puissantes et les plus nombreuses. Bouillon à Sedan était plus isolé que dans le Périgord et moins dangereux pour le repos de l’état.


AUGUSTE LAUGEL.