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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/925

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la fortifie. « Je ne vous dirai point sy j’ai envie de vous voir, vous en debvés estre toute assurée et vous souvenir que Dieu visite ceux qu’il aime, mes qu’il ne les habandonne point. J’ai escrit depuis que je suis sorty de Franse dans plusieurs livres : Dieu esprouve, mais il n’abat pas Henry de la Tour ; mon cœur, cesse les ennuis et oublie notre perte et fortifiez-vous en l’assurance que Dieu ne nous a montré tant de singulières faveurs pour nous desnyer ce qui nous sera expédient pour parachever notre cours en le glorifiant ; notre lignée croîtra quand il en sera temps et le Seigneur demeurera juge équitable, nonobstant les jugemens iniques des hommes » (29 avril). Il parle le moment d’après de ses vins de Languais, de ses foins de Turenne, des pages de sa chambre qu’il veut qu’on habille et envoie au roi, car pour lui, il n’a qu’un fort petit train. Sedan l’occupe toujours, « on travaille fort à votre bastion, y fesant cette année plus de dépenses qu’aux autres.. » Il presse sans cesse la duchesse dès qu’elle sera rétablie de venir avec la duchesse de la Trémoille à la cour de l’électeur.

Pendant qu’Henri IV était à Metz, l’électeur lui écrivit pour prendre la défense de Bouillon. Bouillon avait lui-même, en sortant de France, répandu dans les cours une sorte de mémoire justificatif, qui ne manquait ni d’habileté ni d’éloquence. Il ne pouvait pas avoir conspiré en France avec Biron, en Angleterre avec le comte d’Essex, avoir travaillé pour l’Espagne sans se ruiner auprès de la maison de Nassau et de tous les princes protestans, ses alliés ou ses amis ; le dessein de s’emparer du Dauphiné, où Lesdiguières était tout-puissant, n’avait aucune vraisemblance. Il se défendait d’avoir manqué de respect au roi et de reconnaissance pour ses bienfaits. Il ne s’était jamais épargné pour le roi, il avait exposé sa vie, sa fortune pour ses intérêts, avant même d’être son sujet.

Henri IV avait été ému de cet écrit : il aimait mieux Bouillon innocent que coupable. Il était disposé à pardonner, mais il voulut faire attendre quelque temps le pardon, courber l’orgueil de Bouillon et le punir d’avoir désobéi à ses commandemens. Celui-ci était tout prêt à se rendre auprès du roi, sur les conseils de l’électeur et de l’électrice, quand il apprit la mort de sa plus puissante protectrice, la reine Elisabeth. Il eut peur et conjura le roi de le dispenser de venir à la cour. Il ne voulut pas toutefois rester plus longtemps dans une cour allemande et se retira à Sedan ; Henri IV perdit enfin patience ; il réunit des troupes et se disposa à aller prendre Sedan de force : en attendant, il fit entrer ses officiers dans toutes les places que Bouillon avait dans le Périgord. Celui-ci ne cessait d’écrire au roi des lettres toujours respectueuses ; il avait donné l’ordre que toutes ses places fussent ouvertes aux hommes