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O capiteux bouquet du vin,
Haleine des grappes écloses !
Pourquoi ne suis-je au temps divin
Des antiques métamorphoses ?
Je voudrais comme un dieu subtil
Me mêler aux sèves d’avril,
Me fondre dans l’âme des choses !…

Dans mon verre plein de liqueur,
Le ciel étoilé se reflète.
O joyeuse ivresse du cœur,
Claire ivresse, chère au poète,
Prends-moi sur ton aile, et fuyons
Au pays des illusions,
A travers la nuit violette !

Est-ce un rêve des soirs d’été ?
Ou la vigne en fleur, cette fée,
D’un baiser m’a-t-elle enchanté ?…
Son odeur me vient par bouffée,
Et je crois dans l’obscur chemin
Voir la Vendange, serpe en main,
Pieds nus et robe dégrafée.

Les coteaux sont pleins de bruits sourds
Qu’un limpide écho me renvoie ;
Sous la charge des raisins lourds
Le vigneron chancelle et ploie ;
La cuve dans le vendangeoir
Boût, et le vin sort du pressoir
Comme un vermeil ruisseau de joie.

Le pur sang des raisins pourprés
Exhale partout son haleine ;
Les bruns vendangeurs enivrés
S’en vont bondissant par la plaine,
Et l’on entend dans les ravins
Comme un chœur de jeunes sylvains
Dansant autour du vieux Silène…