Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/937

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

celui qui est tiré des phénomènes d’atavisme. On désigne sous ce nom la réapparition accidentelle chez les descendans de particularités qui existaient chez leurs ancêtres. Cette loi s’applique aux végétaux et aux animaux comme à l’homme. Si donc nous trouvons sur quelques individus d’une plante nullement grimpante des organes propres à cette fonction, nous pouvons en conclure que les ancêtres phylogéniques de cette plante étaient des végétaux grimpans. Tout le monde connaît le muflier commun (Antirrhinum majus), qui pousse spontanément sur les murs et est cultivé souvent dans les jardins comme plante d’ornement. J’ai observé deux pieds de muflier qui présentaient à l’aisselle de leurs feuilles des ramuscules grêles, longs et flexibles, enroulés autour du muflier lui-même et des branches d’un rosier voisin. Ces pieds avaient donc accidentellement des organes préhensiles comme les plantes grimpantes ; ces organes ont disparu dans presque tous les individus de cette espèce et de ses congénères, mais la faculté de grimper s’est conservée intégralement dans les espèces des genres voisins, Lophospermum, Maurandia et Rodochiton, qui sont toutes grimpantes.

Les mouvemens exécutés par les plantes volubiles ou grimpantes à l’aide de leurs feuilles ou de leurs vrilles, pour s’élever au-dessus du sol en s’appuyant sur d’autres végétaux plus robustes, et les mouvemens encore plus marqués propres aux plantes sensitives ou insectivores, ont fait disparaître une différence que l’on croyait décisive entre le règne animal et le règne végétal. Les animaux, disait-on, se meuvent et se déplacent pour chercher leur nourriture ; les végétaux au contraire sont immobiles et fixés au sol d’où ils la tirent. On oubliait qu’il existe une foule d’animaux aquatiques qui sont également immobiles, c’est-à-dire fixés à des roches ou à d’autres corps ; tels sont les polypes, les coraux, les éponges, les actinies, les holothuries, les balanes, les huîtres, les moules, etc. Les mouvemens de ces animaux sont tout à fait comparables à ceux que les botanistes ont signalés dans les végétaux ; ce sont, comme Lamarck l’avait déjà dit en 1809 (Philosophie zoologique, t. II, p. 278), des mouvemens dus uniquement à l’excitation produite par des agens extérieurs. Ainsi l’abîme qui séparait jadis les deux règnes organisés de la nature se comble peu à peu, et nous voyons apparaître le magnifique tableau du règne organisé sous la forme d’un arbre immense, dont le tronc est formé par les protistes, êtres ambigus, intermédiaires entre les végétaux et les animaux. Ce tronc commun se divise ensuite en deux embranchemens : d’un côté les végétaux, dont les plus parfaits sont ceux qui germent avec deux cotylédons et portent des fleurs complètes ; l’autre embranchement, c’est le règne animal qui s’échelonne hiérarchiquement, depuis le corail le plus simple jusqu’à l’homme, seul capable de comprendre l’origine, la majesté et l’harmonie de ce grand ensemble.


CH. MARTINS.