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refusant de sanctionner la loi sur la cessation des poursuites adoptée par la chambre des députés et soutenue par le gouvernement ! L’explication est au moins étrange. Le sénat, et c’est là une fatalité de plus, le sénat, depuis qu’il existe, a pu ne pas comprendre toujours son rôle de la manière la plus utile. Il a repoussé des mesures, comme la restitution à l’état de la collation des grades, qu’il aurait dû accepter, et en compensation, sans doute pour ne pas paraître opposer une résistance systématique, il a voté la loi sur la nomination des maires, qu’il aurait pu, qu’il aurait dû repousser. Il est certain que l’esprit conservateur du sénat n’est pas toujours parfaitement équilibré ! Quant à la loi sur la cessation des poursuites, qu’a-t-il fait en réalité ? Il s’est borné à sanctionner une opinion que le garde des sceaux avait très éloquemment et inutilement soutenue devant la chambre des députés, dont M. Dufaure ne s’était départi que dans un sentiment de conciliation, pour éviter une divergence de plus entre les deux chambres. Un vote qui donnait raison au jurisconsulte et au ministre ne pouvait être considéré comme un échec bien sensible, et n’aurait pas certainement suffi pour provoquer une démission, d’autant plus que le président du conseil, s’il l’avait voulu, aurait pu s’assurer immédiatement qu’il avait toujours une majorité dans le sénat. La vérité est que la loi sur la cessation des poursuites n’a été qu’un incident, tout au plus un prétexte, et que le ministère est tombé parce qu’il a rencontré dans la chambre des députés tout un travail hostile, parce qu’il était lui-même divisé au moment où il devait tenir tête à une situation de plus en plus difficile.

Qu’on laisse donc au sénat la responsabilité de ses œuvres, et que les directeurs de la chambre des députés gardent celle qui leur revient. C’est par eux que la crise a été préparée, c’est par eux que la campagne a été organisée et conduite contre le ministère, surtout contre le président du conseil, devenu depuis quelque temps l’objet d’animosités particulières qui ne se déguisaient plus. Il est certain que M. Dufaure n’est pas toujours un personnage commode. Il ne livre pas facilement les traditions du corps judiciaire, l’inviolabilité de la magistrature. Il n’est pas disposé à porter dans les affaires religieuses l’esprit d’hostilité et de persécution. On le lui a fait payer au jour du budget et au scrutin. Est-ce qu’on a perdu le souvenir de cette séance où, pour une question futile, on a laissé une heure durant le président du conseil aux prises avec un député qui a pu aller jusqu’à se permettre des attaques personnelles ? Est-ce qu’on a oublié cette guerre de broussailles poursuivie passionnément pendant plus d’une semaine contre les propositions les plus simples du ministre des cultes ? M. Gambetta mettait, il est vrai, toute sa diplomatie à déclarer que les membres de la commission du budget étaient des collaborateurs, non des adversaires, pour le gouvernement. C’était un palliatif assez vain ; M. Dufaure ne pouvait se méprendre, il voyait bien que dans tout cela il y avait quelque chose