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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/958

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moins d’aventures surprenantes à raconter, et les esprits mûrs ne les cherchent pas dans leurs relations : ce qu’ils leur demandent, ce sont des renseignemens précis et des réflexions sensées. Ils leur demandent d’être attentifs à tous les symptômes qui annoncent le progrès moral, le développement de la richesse, les transformations économiques chez les peuples qui peuvent jouer un rôle sur la scène du monde, car tout cela nous touche, et il est bon de prévoir les coups de théâtre que nous réserve l’histoire.

A tous ces points de vue, une des relations de voyage les plus intéressantes qui ait été publiée depuis longtemps, c’est la Promenade autour du Monde de M. le baron de Hübner, dont on vient de mettre en vente une cinquième édition, illustrée cette fois de plus de trois cents gravures. Habitué à manier les hommes, à sonder les cœurs, l’ancien ambassadeur d’Autriche pouvait avec raison espérer d’un court voyage une ample moisson de faits. Voici comment il avait lui-même formulé son programme : « Voir au-delà des Montagnes-Rocheuses, dans les forêts vierges de la Sierra-Nevada, la civilisation aux prises avec la nature sauvage, — voir dans l’empire du Soleil levant les efforts tentés par quelques hommes remarquables pour lancer brusquement leur pays dans les voies du progrès, — voir dans l’empire du Milieu les résistances sourdes, mais constantes, le plus souvent passives, toujours opiniâtres, que l’esprit chinois oppose aux envahissemens moraux, politiques et commerciaux de l’Europe, — voilà le but du voyage ou plutôt de la promenade que je compte faire autour du globe. » Il n’a fallu, pour remplir ce programme, qu’un espace de huit mois. Parti au printemps du port de Cork, M. de Hübner est allé lestement de New-York à San-Francisco, non sans s’arrêter chez les Mormons ; puis de San-Francisco à Yokohama, de Yokohama à Changhaï, et est revenu en Europe au mois de janvier, après avoir visité les principales villes de l’Amérique du Nord, du Japon, de la Chine. Tout le monde a lu ses récits spirituels, ses appréciations pleines de finesse des rapports de l’Europe avec les pays d’outre-mer. Ce qui rajeunit son livre, ce sont les belles gravures faites d’après les croquis de l’auteur, qui nous permettent de l’accompagner, sans quitter notre fauteuil, à travers les paysages pittoresques et au milieu des scènes curieuses qui ont frappé ses regards. Sous cette forme nouvelle, la Promenade de M. de Hübner est devenue un livre fait pour charmer les yeux.

On ne se doute pas peut-être de l’influence profonde que la gravure appuyée sur la photographie commence déjà d’exercer sur l’éducation intellectuelle des nouvelles générations. Des images exactes de toutes choses se répandent ; les divers aspects du globe, la figure des hommes qui l’habitent, les portraits des animaux et des plantes, se fixent dans l’esprit à notre insu ; c’est une diffusion insensible de notions vraies