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assez grandes pour recevoir un cercueil. Quelques-unes sont encore vides et attendent leur habitant, la plupart sont fermées par une plaque de marbre qui indique le nom et l’âge du défunt; on y glisse les corps, qui reposent ainsi au-dessus du sol, à l’abri de cette décomposition hâtive qui attend les morts dans nos nécropoles souterraines. On ne voit là ni chapelle particulière, ni mausolée prétentieux; une modeste église domine l’amphithéâtre funéraire où petits et grands dorment confondus dans une tardive égalité.

1er avril. — Soirée au théâtre : c’est un cirque équestre transformé en salle de spectacle; quelques artistes de passage, assistés d’amateurs, donnent un concert assez médiocre : le public est peu nombreux, quelques mestizas jouent de l’éventail en coquetant avec leurs novios ; la haute société espagnole n’a pas osé braver la chaleur.

2. — Visite aux églises, où le dimanche amène la foule. Les femmes occupent le milieu de la nef, agenouillées ou élégamment accroupies sur de petits coussins qu’elles étendent sur le carrelage. Les hommes se tiennent assis ou debout dans les bas-côtés. Les attitudes sont assez recueillies; je m’étonne de ne voir guère que des Tagals parmi les hommes; quelques jeunes gens de sang européen se tiennent de manière à regarder le public sans voir l’autel. Le haut clergé est purement espagnol ; parmi les diacres et sous-diacres, et surtout au nombre des enfans de chœur, on voit beaucoup d’indigènes; il est rare qu’on leur laisse atteindre les ordres majeurs. Le prône a lieu en espagnol ; dans quelques rares paroisses, le prédicateur s’exprime en langue tagale.

C’est le dimanche seulement que la police autorise les combats de coqs; aussi ce jour-là, plus que tout autre, voit-on les indigènes, accompagnés de leur fidèle champion, se répandre dès le matin dans les rues, lui faire manger des alimens excitans et l’irriter à l’avance en provoquant un autre gallinacé sans laisser les combattans en venir aux prises. Le lieu réservé à ces sortes de spectacles, si goûtés de la population native, est un grand hangar à peine couvert, où s’élève un terre-plein à demi-hauteur d’homme, formant champ clos, et qu’on peut voir aisément soit du rez-de-chaussée, soit d’une galerie supérieure supportée par une légère charpente. Une foule compacte s’entasse aux deux étages : le Chinois s’y mêle au Tagal, et leurs vociférations se confondent. Ce n’est pas seulement ici un jeu sanglant, c’est aussi une bourse où s’engagent des paris souvent considérables, suivis avec toute l’ardeur et toute la convoitise que les peuples de race inférieure apportent à ces spéculations de hasard. Dès l’entrée, on aperçoit les propriétaires occupés à armer la patte de leur coq d’un éperon en forme de lame de canif bien affilée, provisoirement enfermée