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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/102

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n’en approche pas comme étendue. Conduit par un inspecteur, je parcours en détail les différens bâtimens, où 6,000 femmes tagales, surveillées par quelques Espagnols, se livrent à la fabrication très-simple de ces fameux cigares de Manille très-recherchés à Paris, où il est rare d’en trouver de bons, très-communs dans tous les ports d’Asie où il est difficile d’en trouver d’autres. Il y en a deux sortes : les bouts-coupés, qu’on peut allumer par l’une ou l’autre extrémité, distinction qui donne lieu à une controverse renouvelée de la fameuse querelle des petits-boutiens contre les gros-boutiens, et les bouts-tournés, dont le calibre est ordinairement celui du londrès, mais dont on fabrique aussi une variété d’une grosseur double.

4. — Voici plusieurs journées passées en visites et en dîners soit à la ville soit à la campagne, chez des Européens de diverses nationalités. Tous sont unanimes à dénoncer l’impéritie, l’incapacité, la routine de l’administration espagnole. Il faudrait se tenir en garde contre cette mauvaise humeur, si elle ne se rencontrait que chez nos compatriotes : le Français porte, en effet, partout avec lui l’habitude enracinée de l’opposition quand même ; mais ici elle est générale : il est difficile d’ailleurs de la contrôler dans un pays où la presse est absolument bâillonnée par la censure préalable, et ne laisse arriver au public non-seulement aucune accusation contre la conduite du gouvernement, mais même aucun des faits quotidiens qui pourraient l’intéresser. C’est en vain, par exemple, qu’on lui demanderait un renseignement statistique. On met en regard des chétifs résultats obtenus jusqu’ici la richesse d’un sol presque vierge, les bienfaits d’un climat sain, sous lequel poussent le riz, le café, le tabac, le bétel, le chanvre, le cacao, mille autres espèces nourricières, l’arbre à pain, le sapin nécessaire aux constructions, enfin le bambou, certes plus digne encore d’être célébré par les poètes que le palmier, dont une chanson persane raconte les trois cent soixante usages; la rare fortune d’un pays qui réunit les richesses minérales à la fécondité végétale, sans que le travailleur ait à redouter des ennemis sérieux parmi les animaux. On ajoute que les Philippines appartiennent à la couronne d’Espagne depuis trois cents ans, et l’on se demande « quel progrès a été accompli pendant ce temps, où sont les chemins qu’on a tracés, les découvertes scientifiques et géographiques, les améliorations apportées à la condition des indigènes, les facilités de communication établies avec l’Europe. Est-ce donc remplir ses devoirs de métropole que d’envoyer régulièrement quelques fonctionnaires toucher des traitemens et des pots-de-vin sur les revenus d’un pays qu’on ne sait pas mettre en valeur? »

Tous ces griefs se résument en un seul : le gouvernement des