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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/104

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ni confort ; mais comment s’imaginer qu’à bord d’une compagnie privilégiée et subventionnée par l’état, on trouverait la saleté, la puanteur, la mauvaise volonté et la mauvaise direction portées à un tel degré! Comment admettre que les passagers espagnols tolèrent tant de négligence et rivalisent de mauvaise tenue avec le navire ! J’ai rédigé, pour les journaux anglais de Singapore, une lettre qui doit dénoncer la Compagnie Reyes à la vindicte publique : un de mes compagnons d’infortune, tout en applaudissant à mon projet de publier nos griefs communs, me prédit qu’une fois à terre je négligerai de remettre ma lettre. Celui-là connaît à fond le cœur humain,


VI.

C’est au wharf de New-Harbour que les steamers accostent, bord à quai, et font leur chargement; mais la ville est à 4 milles plus loin, sur une rade largement ouverte. On y arrive par une jolie route qui longe la mer, transporté par une de ces tapissières à quatre places qui, dans le slang de ces parages, ont pris de la nationalité invariable de leurs cochers le nom de Malabar. Situé au bord de la presqu’île inhabitable de Malacca, perdu au milieu de l’Océan comme une sentinelle avancée du continent asiatique, Singapore n’est qu’un port de transit, mais comme tel il a une importance capitale; il commande la route de Chine pour les steamers qui viennent s’y approvisionner de charbon. C’est à la fois une sorte de défilé maritime où vient passer tout ce qui navigue dans les mers d’Asie, un point de ravitaillement et un bureau de réexpédition. Sa prospérité est due en grande partie à l’immigration chinoise, devenue considérable. On y compte en effet environ 110,000 sujets du Céleste-Empire, et leur nombre s’accroît de jour en jour. Ils ne se contentent plus des menus trafics; ils se font cultivateurs pour leur compte, ou coulies au service des planteurs; aussi, malgré la présence de plusieurs milliers d’Hindous, d’Arabes, de Malais, d’Arméniens même, l’aspect de la ville et des environs est-il exclusivement chinois. On ne manque pas de citer, pour témoigner de leur prospérité, l’exemple du célèbre Wampoa, dont on voit les jardins à quelque distance de Singapore; c’est un marchand qui s’est élevé de la misère à une fortune considérable, et s’est fait bâtir, au milieu d’un parc à la française, une villa disposée et meublée avec toute la recherche du luxe chinois : faïences et porcelaines, incrustations, mosaïques, arabesques en bois découpé, profusion d’ébène, plantes grimpantes et pendantes, rien n’y manque, pas même une tasse de thé que l’hôte vous offre avec beaucoup d’empressement, après la visite de sa maison. Quand on a