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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/18

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la Gloire, avait été mis à la mer, et cette marine française, qui avait jeté tant d’éclat pendant la guerre, s’avançait à grands pas dans la carrière nouvelle qu’elle venait d’inaugurer. On en était inquiet et mécontent en Angleterre. Eh quoi! s’être laissé devancer, avoir subi cette atteinte à la suprématie navale dont on était si jaloux ! C’était en vain, ajoutait-on, qu’on s’efforçait de regagner l’avance qu’on avait laissé prendre. L’empire ne pressait-il pas la construction de sa flotte cuirassée avec une ardeur qui défiait tous les ef- forts? Qu’en voulait-il faire de cette flotte qui coûtait si cher? Qui donc menaçait-il? Quelle surprise, quel coup de théâtre allait-on voir sortir de ces préparatifs? quels pouvaient être enfin les secrets desseins de cette politique rêveuse et souterraine qui aimait à se révéler par de soudaines explosions?

Telles étaient, à tort ou à raison, les préoccupations de l’esprit public de l’autre côté du détroit. Ces préoccupations, on les verra se continuer jusqu’à la fin de l’empire ; elles ne cesseront que le jour où la France tombera épuisée et sanglante, laissant aux mains de l’ennemi ses armées, ses frontières et sa capitale. Alors même elles ne cesseront que pour changer d’objet : le cauchemar de l’invasion allemande hantera pendant quelque temps le sommeil de la vieille Angleterre.

N’insistons pas sur ces manifestations exagérées d’un sentiment réel. Ce que l’on veut constater ici, c’est le résultat de cette agitation, qui avait un double objet, un double but : d’une part, l’accroissement de l’effectif de l’armée et la réforme militaire; d’autre part, la défense du littoral. De ces deux objets, le premier est en dehors de cette étude; c’est le second seulement que l’on a en vue. Or quelle était en 1846 la situation défensive du royaume-uni? Ici, il convient de laisser la parole à l’inspecteur général des fortifications, sir J. Burgoyne, et voici le tableau qu’il a lui-même tracé de cette situation : « L’Angleterre n’a pas une seule forteresse, et ses ports militaires ne sont pas à l’abri d’un coup de main. Woolwich, le plus important des arsenaux, n’est pas fortifié et ne peut l’être à cause de sa position topographique. Pour remédier au danger d’une pareille situation, il faut fortifier Plymouth, Portsmouth et Sheerness, construire des batteries de côtes partout où un débarquement est à craindre, créer des ports de refuge...[1]. »

Voici, de son côté, ce qu’écrit le duc de Wellington dans la lettre qu’il adressait à sir J. Burgoyne au sortir d’une grave maladie ; « Nous sommes sans défense et n’avons d’espoir que dans notre flotte, » — et cette lettre, il la termine par une invocation qui témoigne de la ferveur de sa conviction. « Je touche, écrit-il, à la

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1876, l’étude de M. Blerzy sur l’Armée anglaise au dix-neuvième siècle.