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plus hautes personnalités de l’armée anglaise, le duc de Wellington, chef illustre et respecté de cette armée, et le major-général sir John Burgoyne, inspecteur-général des fortifications. Une correspondance s’établit entre sir J. Burgoyne et le duc de Wellington, correspondance aussitôt rendue publique et connue de toute l’Angleterre. Dans une lettre du 9 janvier 1847, datée de Strathfieldsaye, l’illustre vétéran des guerres de la Péninsule ne se contente pas de donner aux vues de son correspondant la sanction de sa vieille expérience et de sa haute autorité ; c’est avec une vivacité émue qu’il s’exprime sur l’imprévoyance de l’administration et sur le danger que cette imprévoyance avait appelé sur son pays. « Dans l’état où nous sommes, écrivait-il, et s’il est vrai que la flotte soit impuissante à nous défendre, nous n’en avons pas pour une semaine après la déclaration de guerre. » Faut-il citer aussi la lettre que l’amiral sir Charles Napier adressait au Times le 11 octobre 1850, après avoir assisté à la revue de notre escadre à Cherbourg, ou bien encore un livre qui fit sensation à cette époque, et dont le titre : The defenceless state of Great-Britain[1], si l’on voulait en compléter le sens, pourrait se traduire ainsi : « La Grande-Bretagne sans défense en face de l’invasion française? »

Les témoignages que l’on vient d’évoquer en faisant appel aux noms les plus illustres ou les plus considérables dans le gouvernement et dans l’armée, disent assez haut l’état des esprits : il n’y a rien à y ajouter; mais il sera bien permis, en faisant la part de l’exagération du patriotisme ou de l’emportement de la passion politique, de ne pas trouver dans ces témoignages une appréciation froide et mesurée de la situation relative des deux pays. La France, sous un régime de paix et de sage liberté, poursuivait le développement de ses institutions ; sa force et sa richesse se développaient en même temps, mais elle ne menaçait personne, et, si son influence allait grandissant dans le monde, ce n’était pas par les armes. Libre et riche, forte et pacifique, elle pouvait exciter la jalousie, elle n’excitait pas la haine.

Quoi qu’il en soit, à partir de 1844, l’agitation dont sir Robert Peel avait donné le signal n’avait pas cessé de s’accroître, en puisant au jour le jour dans les faits contemporains des causes d’excitation nouvelle. La révolution de 1848 en avait, il est vrai, ralenti la marche; mais l’empire, au lendemain de la guerre de Russie, n’avait pas tardé à réveiller les défiances que son avènement avait fait naître, et ce n’est pas sans une appréhension jalouse qu’on avait vu, à l’occasion du traité de Paris, se manifester son influence prépondérante. D’un autre côté, le premier-né des navires cuirassés d’escadre,

  1. The defenceless state of Great-Britain, by sir Francis B. Head, London 1850.