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poésie d’une fin prématurée et opportune pour relever ou consacrer leur renommée.

Non, celui qui depuis douze ans passait à travers toutes les difficultés et tous les écueils, qui déployait des ressources toujours nouvelles, grandissant au feu de l’action, ramenant son pays des extrémités de la défaite au sommet d’une fortune inespérée, celui-là n’avait pas à redouter de vivre, d’avoir à se mesurer avec quelques épreuves de plus pour arriver au terme qu’il pouvait désormais entrevoir. Il ne serait pas descendu ou il n’aurait plus été lui-même. Il aurait achevé ce qu’il avait commencé, il était déjà en plein travail. Il aurait poursuivi ses négociations, ses combinaisons, ralliant de plus en plus l’Italie confiante dans sa direction, gagnant de plus en plus l’Europe accoutumée à sa diplomatie inventive et déliée. S’il avait eu encore des luttes à soutenir, il les aurait soutenues avec une autorité croissante. Jamais il n’avait montré plus d’activité, plus de sûreté qu’à l’heure où le mal venait le terrasser sur sa tâche inachevée, et je ne sais sur quoi on s’est fondé pour répéter, bien après d’Azeglio, qu’il avait disparu « à temps pour sa gloire. » Que sa mort fût une crise redoutable, « une terrible épreuve » pour l’Italie, ce n’était point douteux; mais ce qu’on ne pouvait voir encore, surtout dans l’émotion du premier moment, ce qui a été une autre marque de sa grandeur, c’est que même en descendant prématurément au tombeau, il avait déjà fait assez pour que son œuvre ne pérît pas avec lui. En un mot, vivant il serait resté toujours le plus puissant athlète du nouveau royaume qu’il avait fondé; mort, il lui laissait en héritage, avec l’unité presque complète, sa pensée, ses traditions, toute une politique, cette politique qui avait été l’instrument de ses créations, le secret de ses succès, et qui après lui est restée la garantie, la force de l’Italie nouvelle, l’inspiration de l’élite libérale qui a continué son œuvre. Qu’on ne s’y trompe pas en effet : c’est par cette pensée et par ces traditions, c’est en suivant les indications de Cavour, en reprenant souvent ses projets, en réalisant ses combinaisons, que l’Italie a réussi à vivre, à se consolider ou à se compléter depuis quinze ans, et cela est si vrai qu’il y a un phénomène étrange, d’une éloquence significative : toutes les fois qu’on s’est trouvé en présence de difficultés, de questions dont Cavour n’avait pas en quelque sorte préparé la solution ou qu’il n’avait pas éclairées de sa raison lumineuse, on a été embarrassé, et les esprits sincères qui ont eu depuis quinze ans à conduire les affaires de la péninsule dans les momens les plus critiques ne le cachent pas : ils ne se sont jamais sentis plus sûrs d’eux-mêmes que lorsqu’ils ont cru suivre encore ce guide des grandes luttes. Toutes les fois qu’on a paru dévier de la route tracée