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d’ailleurs on ne prétend pas destituer le sénat de toute autorité, on ne lui refuse pas la faculté d’examen, on veut lui laisser un droit, un petit droit, qu’il devra exercer sagement. Qu’est-ce à dire ? Si c’est une exagération de supposer la chambre des députés capable d’aller jusqu’au bout des prétentions qu’on revendique pour elle, de satisfaire quelquefois ses passions, pourquoi d’un autre côté se livrer à des exagérations qui ne sont pas moins réelles à l’égard du sénat, et se mettre en défense comme si le « grand conseil des communes de France » était en train d’usurper, d’abuser de ses prérogatives ? Si, jusque dans le système soutenu par M, Gambetta, on reconnaît au sénat un droit sur le budget, même un droit d’amendement, où est la limite de ce droit ? Quand a-t-elle été dépassée ? Que signifient toutes ces subtilités laborieuses sur une prérogative qui pourrait réduire une dépense, mais qui ne pourrait pas rétablir un crédit ? Franchement, tout cela n’est pas bien sérieux ; si la question soulevée par M. Gambetta n’a pas la portée d’une revendication complète, absolue, d’omnipotence pour la chambre, elle n’a plus d’importance, et c’est là, comme l’a dit M. le président du conseil, que nous voulons en venir. Y avait-il là de quoi chercher à agiter le pays, provoquer des conflits et secouer une constitution déjà par elle-même assez fragile ? M. Gambetta a donné trop beau jeu à M. Jules Simon, qui, écartant tous les subterfuges de discussion, allant droit au point vif de la situation, a pu dire : « Voilà les deux alternatives, les deux politiques : l’une, c’est la crise, c’est le conflit, c’est la constitution portée de nouveau devant le pays, c’est l’œuvre de l’année dernière détruite ;… l’autre consiste à maintenir la paix entre les pouvoirs, à faire de la pratique, du bon sens, de la sécurité, c’est notre politique : choisissez ! » La question était tranchée ; la chambre a écouté M. le président du conseil, elle s’est détournée du chemin des conflits, et voilà comment M. Gambetta est allé au-devant d’une défaite, complétée par la modération du sénat, qui, une fois son droit reconnu par la chambre des députés, s’est empressé d’abandonner quelques-uns de ses amendemens en votant le budget tel qu’il lui est revenu à la dernière heure.

Est-ce à dire qu’à défaut de l’échec qu’on voulait infliger au sénat il y ait dans ce qui vient de se passer une défaite pour la chambre des députés ? Il n’en est rien. Les deux assemblées restent avec leurs droits. L’une n’est point à coup sûr disposée à abuser des prérogatives que les dernières discussions ont confirmées ; l’autre a évité tout simplement de se laisser entraîner dans une voie révolutionnaire où il n’y avait d’autre issue qu’une dissolution périlleuse. C’était la meilleure manière d’en finir avec une de ces aventures parlementaires dont le plus grand inconvénient est d’étonner le pays, de le laisser indifférent et sceptique. Non, en vérité, le pays n’a rien compris à ces demi-mots, à ces querelles passant d’une commission dans la chambre ; il s’y est encore