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III.

Le 20 juillet 1853, en vertu d’un traité passé avec le duché d’Oldenbourg, la Prusse devenait acquéreur sur la mer du Nord, entre les embouchures de l’Ems et du Weser, d’un terrain présentant l’emplacement nécessaire à la création d’un arsenal maritime. Ce terrain était situé à Heppens, sur la rive occidentale du golfe de la Jahde, vaste estuaire en forme d’entonnoir, au fond duquel se déverse la rivière de ce nom. La Prusse se réservait en outre sur la rive opposée la possession d’une pointe de terre, auprès d’Eckwarden-Horn, pour y établir des ouvrages défensifs en face de ceux élevés sur la rive occidentale. Enfin le traité stipulait l’établissement d’une voie ferrée destinée à mettre le nouvel arsenal en communication avec les chemins de fer prussiens; mais le Hanovre, dont cette voie devait traverser le territoire, refusa son consentement, et l’exécution dut être ajournée jusqu’en 1866. Alors l’opposition était levée par l’annexion du Hanovre à la monarchie prussienne.

Quoi qu’il en soit, aussitôt après la conclusion du traité, on mit la main à la construction du nouveau port. Il s’agissait d’asseoir sur un terrain vaseux et mouvant les fondations d’un grand établissement naval, et cette œuvre, toujours difficile, se compliquait ici de l’insalubrité du climat. On sut triompher de tous les obstacles, et seize ans plus tard, en 1869, le roi Guillaume venait lui-même inaugurer cette conquête d’une politique prévoyante et d’une persistante volonté. C’était trois ans après Sadowa, un an avant la funeste guerre de 1870. Telle est l’origine du port de Wilhelmshafen, et telle est en même temps, on peut le dire, l’origine de la marine allemande.

C’est ainsi qu’à trois années de distance, en 1853 et en 1856, deux pays, deux peuples, l’un riverain de la Baltique, l’autre de la Méditerranée, tous deux petits par le territoire, mais qui portaient en eux le sentiment d’une grande mission à accomplir, préludaient par de grandes œuvres à leurs prochaines destinées : ici la Spezzia, là Wilhelmshafen. Ces deux peuples différaient par la race et par le génie propre à leur race ; mais, poursuivant un but semblable et aspirant au même rôle, tous deux eurent cette fortune que la persistante énergie de leur volonté s’était incarnée dans deux hommes, deux ministres à qui l’histoire de leur pays ne refusera pas le nom de grands, Bismarck et Cavour. L’un et l’autre avaient compris que pour une nation la force navale est aujourd’hui une des conditions, sinon la condition même de la puissance, et tous deux ont voulu préparer la grandeur prochaine de leur pays en fondant presqu’en même temps, l’un sur la mer du Nord, l’autre sur la Méditerranée, les assises de cette force navale.