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allemand disparut de la surface des mers. Les quelques navires de guerre qui portaient ce pavillon sur les mers lointaines se renfermèrent dans les ports neutres, tandis que le reste de la flotte venait s’abriter dans les ports qu’une sage prévoyance lui avait préparés sur la mer du Nord et sur la Baltique.

La France, de son côté, n’était pas préparée à porter du premier coup une guerre offensive sur les eaux peu profondes des côtes ennemies. Aussi plus d’une fois a-t-on reproché à la marine ce que l’on appelait son inaction et son impuissance. L’envoi d’une escadre dans la Baltique ne pouvait-il donc avoir un autre but, une autre destination? Pourquoi le gouvernement n’aurait-il pas fait entrer dans ses combinaisons l’éventualité d’une alliance avec les états scandinaves, ou l’un d’eux tout au moins? Dans cette hypothèse, tout s’enchaîne, tout s’explique. L’escadre partie en toute hâte de Cherbourg pour la Baltique n’aurait été que l’avant-garde d’un corps expéditionnaire destiné à débarquer sur un territoire allié, pour en faire sa base d’opération. Nous n’avons pas été dans les secrets du gouvernement, est-il besoin de le déclarer? nous n’avons pas reçu la confidence de ses desseins, mais ici les faits parlent d’eux-mêmes. Le commandant du corps expéditionnaire n’était-il pas désigné, sinon nommé, aussi bien que le commandant de la flotte de transport, et celle-ci n’était-elle pas réunie dans les ports du Nord? Ce n’est pas nous qui le disons, c’est de l’histoire, de l’histoire écrite et connue. Le transport d’un corps d’armée de trois divisions n’est pas une mince opération; il faut que tous les détails en soient prévus et organisés de longue main. Eh bien, tous les détails étaient prévus et concertés entre les deux départemens de la guerre et de la marine, concertés et organisés. Il ne s’agissait bien entendu que d’une prévision générale, sans application définie, telle que doit en tout temps la concevoir un gouvernement soucieux de se rendre un compte exact de ses moyens d’action. Supposons donc pour un instant que l’alliance dont on avait pu entrevoir l’éventualité se fût faite, et qu’un corps de débarquement de 30,000 hommes, suivi à bref intervalle d’un second corps d’armée d’égale force, eût pris pied sur le territoire allié; supposons qu’à ces 60,000 hommes se fût jointe une armée alliée de 40,000 hommes, constituant ainsi une force active et compacte de 100,000 combattans prête à se porter sur les derrières de l’armée ennemie faisant face à la frontière du Rhin; que serait-il arrivé?

Voilà donc une escadre envoyée en grande hâte dans la Baltique, envoyée en avant-garde pour déblayer le terrain et préparer, sinon ouvrir la voie à une flotte de transport, peut-être aussi pour déterminer par sa présence dans les eaux neutres la fin d’une neutralité que la prudence aurait imposée jusque-là à des états faibles.