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Cette hypothèse, ce plan peut-être qui aurait pu à l’origine offrir des chances raisonnables de succès, ce plan n’explique-t-il pas comment l’escadre de la Baltique se trouvait dépourvue des moyens d’action qu’aurait exigés une offensive immédiate contre les rivages ennemis, comment elle n’était pas constituée en vue de cette offensive? Le débarquement d’un corps d’armée, tout semble autoriser cette pensée, était donc le premier acte prévu de la guerre sur mer, et, pour l’exécution de ce premier acte, il fallait la mer libre. Or l’envoi et la présence de l’escadre étaient faits pour garantir cette condition. Le second acte aurait-il compris des opérations sur les côtes et contre les côtes? C’est ce que les circonstances ultérieures pouvaient seules décider.

En 1854, qu’avait fait, qu’avait pu faire l’escadre anglo-française envoyée dans la Baltique? Cette escadre se composait de vaisseaux de ligne à voile et à vapeur, navires à grand tirant d’eau. Aussi qu’arriva-t-il? Elle prit Bomarsund avec le concours d’un corps de débarquement ; mais, à part ce fait d’armes, dont elle partagea l’honneur avec l’armée, elle ne put que promener le pavillon allié sur les eaux de la Baltique, bloquant de loin la côte ennemie. Mieux préparées la seconde année, les forces alliées avaient pu s’emparer de l’embouchure du Dnieper dans la Mer-Noire et bombarder Sweaborg dans la Baltique ; mais ce n’est que la troisième année, alors que la paix se concluait, que l’on était prêt pour une offensive sérieuse. Ces enseignemens n’avaient pas été perdus de vue pendant la période de 1855 à 1870, et la guerre de la sécession américaine était venue dans son temps jeter une vive lumière sur les conditions nouvelles de la guerre des côtes. Nous n’avions pas méconnu ces conditions, loin de là; mais il est constant qu’en 1870 nous n’étions pas préparés, — assez préparés du moins, — à porter sur les eaux peu profondes de la Baltique ou de la Mer du Nord une guerre sérieusement offensive. Nous n’avions pas médité longuement la guerre prussienne comme de l’autre côté du Rhin on avait médité la guerre française; nous ne l’avions pas couvée, cette guerre, dans une longue et haineuse incubation. C’est notre erreur et notre faute, nous les avons expiées et nous les expions cruellement.

On vient d’expliquer comment l’envoi d’une escadre dans la Baltique avait pu à l’origine avoir un autre but, un autre objectif, qu’une offensive sur les côtes allemandes, et personne n’ignore comment le plan dont cet envoi aurait été le prélude fut déjoué par la rapidité foudroyante des événemens. Qu’arriva-t-il alors? La France envahie demanda à la flotte tout ce qu’elle avait de ressources, tout ce qu’elle avait d’hommes disponibles[1], c’est-à-dire en dehors des

  1. Aussitôt après Reichshoffen et Spickeren, on fit un premier appel à la marine et l’on enleva à tous les navires présens dans les ports la totalité de leurs fusiliers et moitié de leurs canonniers.