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lettres ne resteront pas un secret, qu’elles seront lues et commentées dans les salons de Hambourg, qu’on y exaltera la sagesse et la grandeur de Catherine. Remarquons que Hambourg était déjà à cette époque le plus vaste centre commercial du Nord, et par cela même le lieu où se concentraient les informations, où s’élaborait l’opinion des pays scandinaves et de toute l’Allemagne septentrionale, où se brassaient les nouvelles politiques qui faisaient la hausse ou la baisse des valeurs. Si on pouvait consulter les journaux hambourgeois à partir de 1768, on y retrouverait assurément la trace des on-dit du salon Bielke, et l’influence des missives de Catherine II. La « bonne amie » de l’impératrice ne devait pas faire mystère de ces lettres aux gazetiers hanséates, toujours à l’affût des nouvelles. Bien d’autres encore rendaient les mêmes services d’utile indiscrétion à Catherine II. La tsarine a-t-elle quelque nouvelle à faire savoir à l’Europe, a-t-elle donné à son peuple l’exemple hardi de l’inoculation, — assemble-t-elle à Moscou sa grande commission législative où se coudoient les représentans de toutes les peuplades de l’empire, — faut-il expliquer la mort mystérieuse d’Ivan VI ou atténuer l’effet produit par l’insurrection de Pougatchef, — est-il nécessaire de démentir quelque article malveillant de la Gazette de Cologne ou du Courrier d’Avignon, — vite une lettre aux amis de Ferney, de Paris, de Hambourg, de Hanovre[1]. Il est curieux de voir, dans le recueil de la Société impériale, les lettres à Mme de Bielke et à Voltaire aller presque toujours de conserve, porter les mêmes dates, traiter des mêmes sujets presque dans les mêmes termes et reproduire parfois les mêmes traits d’esprit. Les gouvernemens n’avaient pas alors, comme aujourd’hui, des journaux chargés de défendre au dehors leurs intérêts ; on n’avait pas encore songé à subventionner les feuilles belges ou autrichiennes; on n’avait pas encore créé un fonds des reptiles pour la presse étrangère ; mais les souverains avaient pour amis des gens d’esprit qu’ils s’attachaient moins par des bienfaits que par des attentions, dont l’amour-propre même était engagé à ne rien laisser ignorer de ce qu’une impératrice voulait bien leur communiquer, et qui faisaient proclamer par les cent trompettes de la renommée le mot qu’on leur avait discrètement glissé à l’oreille. Catherine II, le grand Frédéric, s’entendaient

  1. Le correspondant de Catherine II à Hanovre était Zimmermann, écrivain réputé dans l’Allemagne entière, auteur d’un traité sur la Solitude, et qui, entre autres services qu’il rendait à Catherine, lui recrutait en Allemagne des médecins et des chirurgiens. Voyez Zimmermanus Verhältniss mit der Kayser in Catharina II, par Marcard, Brème 1803, Ce livre a pour appendice vingt-neuf lettres, en langue française, échangées entre l’impératrice et Zimmermann. « J’ai vu, écrivait Catherine à Zimmermann en 1787, j’ai vu dans les gazettes d’Hambourg le démenti que vous avez donné aux magnétiseurs de Strasbourg, etc. »