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de ce genre. Catherine, ne voulant décourager aucun des talens qui s’offraient à la servir, prit la peine de répondre à l’émigré, et leur échange de lettres fut pendant quelque temps assez actif. Plus tard il perdit la faveur de l’impératrice. Cette correspondance est en partie inédite[1], et M. Grote, de l’académie de Saint-Pétersbourg, semble nous en promettre, au nom de la Société impériale, la publication prochaine. Avec celle de Grimm, elle formera peut-être un ensemble précieux sur la période révolutionnaire. J’arrive maintenant à des correspondans plus assidus et à de plus grands noms littéraires.


III.

M. Charles de Moüy, dans une récente publication, nous a donné les élémens d’un portrait définitif de Mme Geoffrin. Il a expliqué comment la femme d’un financier avait pu avoir une telle situation dans le monde philosophique et dans l’opinion européenne. Sans prétention littéraire et même sans orthographe, elle réunissait chez elle tous les littérateurs distingués de Paris; attachée à l’ancienne religion, elle faisait de son salon un des quartiers-généraux de l’Encyclopédie; simple bourgeoise, elle correspondait avec les têtes couronnées. Gustave III, lors de son voyage à Paris, lorsqu’il cherchait des appuis pour le coup d’état qu’il méditait, se fit présenter à Mme Geoffrin comme à l’une des puissances du jour; Stanislas Poniatovski l’appelait sa « chère maman ; » Joseph II s’arrêtait sur les boulevards de Vienne pour causer avec elle à la portière de son carrosse. La publication des lettres que lui adressa Catherine II est due à M. Hamburger, conseiller d’état et membre de la Société impériale. Il est à regretter qu’on n’ait pas retrouvé celles qu’écrivit Mme Geoffrin. Il faut nous borner à étudier celles de la tsarine : elles sont au nombre de seize et vont de 1763 à 1768. Catherine II s’y fait toute aimable, toute simplette. Ce qu’elle veut, c’est une amitié; ce à quoi elle aspire, c’est à une douce égalité : « Encore une fois, madame, je ne veux point de ces prosternations; entre amis, cela ne se pratique jamais. Puisque vous faites tant que de m’aimer, vous prendrez s’il vous plaît le ton de l’amitié, et cesserez de me traiter comme le sophi de Perse l’était. Tenez, madame, il n’y a rien de plus vilain au monde que la grandeur : quand j’entre dans une chambre, on dirait que je suis la tête de Méduse, tout le monde se pétrifie et chacun prend un air guindé; je crie souvent comme un aigle contre ces façons-là; j’avoue que ce n’est pas le

  1. Voyez Sotchinenia imperatritsy Ekaleriny, t. II. — Rousskii Archiv, année 1866.