Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

durant dans toute la maison, font tapage et apprennent à table à picorer comme les poussins; le sommeil prend aussi les grandes fillettes de quatorze à quinze ans, qui en paraissent dix-huit et qui, pieds nus, en robe courte, jouent avec leurs petits frères, courent, gambadent, font de la gymnastique et deviendront de solides commères, mais qui, pour le moment, sans taille, sans formes, sans grâce, ressemblent à ces statues inachevées qu’on trouve dans l’atelier d’un praticien. A neuf heures, tout le monde se retire sous la moustiquaire et dort jusqu’au lever du soleil. Il est certes difficile de trouver un tempérament et un genre de vie en opposition plus complète avec les nôtres. Le perpétuel tourbillon des villes d’eau leur paraîtrait aussi insupportable que cette existence purement végétative et physique semblerait mortelle à nos élégans.


VIII.

Du 20 au 28. — Je ne rentre à Batavia que pour en repartir aussitôt, mais cette fois j’entraîne le plus aimable des compagnons. M. Delabarre va faire avec moi une tournée qu’il médite depuis longtemps dans les principautés indépendantes. Nous nous embarquons de bon matin sur le Wilhem III, qui doit nous mener à Samarang. Pendant les quarante-huit heures que dure la traversée, on ne perd pas de vue la côte montagneuse de Java, et l’on ne quitte le pont que pour prendre à la hâte de médiocres repas; on fait quelques escales à Cheribon, Tagal, Pekalongan, mais sans approcher de la côte, en communiquant seulement par les canots qui viennent chaque fois assiéger le paquebot. C’est au moyen d’un esquif semblable que nous gagnons la douane de Samarang, dont l’entrée rappelle identiquement celle de Batavia. Samarang est une ville de 50,000 habitans, pleine de Chinois et de Malais, très commerçante, très animée, très banale, dont les avenues sont bordées de jolies maisons, et dont les plus beaux monumens sont la Résidence et l’hôtel du Pavillon, où nous ne faisons que passer. Il y fait une chaleur intolérable, qui atteint son maximum lorsqu’à une heure nous montons en chemin de fer pour Solo ou Sourakarta, où nous descendons à six heures, après avoir traversé un pays magnifique. Quoique maîtres en réalité de toute l’île de Java, les Hollandais, on le sait, y ont laissé subsister deux petites principautés, dites indépendantes, à la tête desquelles se trouvent des souverains dévoués ou soumis à la politique néerlandaise et surveillés de près par des résidens accrédités auprès d’eux. Revêtus de titres pompeux, dotés de revenus, ils jouissent d’une indépendance assez complète en apparence pour faire illusion à une population jalouse et fanatique