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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/324

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qui ne laisserait pas sans protestation renverser ses fétiches. C’est donc en plein élément indigène que nous allons nous trouver.

Dès les premiers pas faits à Solo, on s’aperçoit qu’on entre dans un monde nouveau. D’une part, on ne rencontre que peu d’Européens perdus dans cette agglomération de 150,000 âmes; de l’autre, le Malais fait place ici au Javanais proprement dit, plus grêle, plus élancé, de tournure plus fière et plus dégagée, qui, vêtu d’une veste rose ou verte par dessus son sarong, le turban en tête, le kriss invariablement passé dans la ceinture, vers la chute des reins, toise l’étranger d’un air martial. A travers les rues larges, ombragées de beaux arbres et bordées de constructions légères et basses en bambou, on gagne le centre de la ville européenne groupée autour d’une forteresse imposante où réside la garnison hollandaise. De temps à autre, on rencontre un seigneur javanais, marchant d’un pas grave, précédé de son parasol qu’on porte ouvert devant lui, et suivi de quelques serviteurs sur l’épaule desquels il s’appuie par intervalles, ou bien monté sur un cheval richement caparaçonné et tenu par la bride. Dans les allures, dans les types, je retrouve mes souvenirs du Japon avec une fidélité vraiment frappante, et cette remarque, qui n’est pas faite pour la première fois, donnerait quelque vraisemblance à l’une des hypothèses aventurées sur l’origine des Japonais. On rencontre aussi quelques Arabes dont la taille et les traits contrastent avec les formes efféminées des insulaires.

Notre première visite est pour le résident, M. Lammers, qui nous reçoit au milieu d’une charmante famille; il s’agit de nous ménager une entrevue de son altesse le sultan, ou plutôt de sa majesté l’empereur Pakou-Bouana-Senapati-Ingalega-Ngabdour-Rachman-Sajedin-Panata-Gama IX, sousouhounan de Sourakarta, commandeur de l’ordre du Lion néerlandais, général de l’armée de sa majesté le roi des Pays-Bas; je crains d’en oublier. Mais nous avons eu le tort de ne pas annoncer notre visite à l’avance; le sultan met au moins quarante-huit heures entre la demande d’audience qui lui est transmise par le résident et la réception ; nous ne pouvons attendre aussi longtemps. On nous console en nous disant qu’il n’y a rien de très intéressant à voir à sa cour, où règnent l’incurie et l’abandon. Le gouvernement néerlandais semble en froid avec le sousouhounan et favorise un prince de la famille qui fait bande à part et vit en contact plus familier avec les Européens, Mangoro-Negoro; c’est à lui que nous ferons visite demain. La soirée se passe à courir les kampongs indiens et chinois, car ici encore on retrouve les Chinois en grand nombre. Ils y font même souche ; beaucoup de Chinois mahométans se retrouvent ici au milieu de leurs coreligionnaires et s’y fixent. Nous assistons à une noce qui secoue joyeusement ses