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secoué ses lourdes assises, l’édifice, construit tout entier et dans ses moindres détails uniquement de granit sans ciment, soutenu quelquefois par des crampons de fer, est encore intact dans beaucoup de ses parties; le, temps ne lui a donné d’une ruine que la poésie, sans lui ôter son caractère de puissance et de majesté.

Contemporain des plus belles époques de l’art hindou, Boroboudhour appartient comme le Parthénon, comme le temple d’Hullabid du Nizam, comme Notre-Dame de Paris, comme Angkor-wat du Cambodge, à cette famille de monumens qui résument dans un symbole éternel le génie et les aspirations de toute une race et de toute une époque. La pensée reste confondue devant tant de magnificence, tant de science et tant de force, et voit revivre tout un passé lointain, dans cette pyramide à gradins qui rappelle les plates formes superposées de l’architecture assyrienne, tandis que des forêts de clochetons et de voûtes ogivales marient leurs formes élancées et leurs hardiesses gothiques aux lourdes et sévères plate-bandes. Au premier abord ce n’est pas un édifice, c’est un monde où s’égare notre œil habitué aux lignes simples de l’art grec; mais bientôt une pensée grandiose se dégage de ce prodigieux entassement de pierres : la multiplicité, la complication, se fondent dans une unité magistrale; de cette forêt de dômes, on croit entendre s’élever un immense hosannah vers la coupole centrale où résident la beauté et la bonté absolues, comme de la surface du globe et du sein de l’humanité s’élève au milieu des désordres et des épouvantes un immense cri d’aspiration vers l’infini. Si l’art grec représente les idées éternelles, dégagées de tout alliage humain, telles que pouvait les concevoir le génie d’un Platon, l’art hindou les représente à l’état d’éclosion laborieuse dans le sein de l’humanité souffrante, mais déjà assez puissantes et assez précises pour ravir l’homme à la domination du monde matériel et l’élever vers le divin et l’absolu. Une étude approfondie de Boroboudhour demanderait des mois et des volumes; elle amènerait peut-être à conclure qu’en dehors des traditions helléniques il y a place en architecture pour des manifestations autrement puissantes; elle conduirait en tous cas à élargir singulièrement la base de nos jugemens esthétiques. Elle aurait encore un intérêt historique d’un autre genre, celui d’indiquer une forme peu étudiée de la pensée religieuse dans une race sans doute d’origine aryenne. Il s’agit ici en effet d’un temple hypètre : pas de voûte où s’enferme le culte, pas d’hypogées pas de crypte ni de souterrains, c’est l’adoration de l’esprit universel à la face du ciel, l’exubérance de la vie terrestre ramenée à l’harmonie faisant éclater sa fanfare mystique. Il semble qu’au sommet de l’édifice, inondé de lumière, on va voir, comme sur les pagodes mexicaines au temps de la gloire des Astèques, monter la