Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

époque déjà si lointaine, des pierres gravées, des émaux, des terres cuites, une grande variété de céramiques et ces fameux bijoux d’Ahmès, contemporains de Joseph, que nos joailliers seraient encore fiers de signer.

Cette forte société est sagement policée, soumise à une centralisation peut-être excessive. Le réseau administratif s’étend sur tout, les fonctions publiques sont le rêve de tout citoyen. C’était déjà ainsi il y a six mille ans. Les inscriptions funéraires où les fonctionnaires racontent complaisamment les progrès de leur carrière et les services rendus par eux, entre autres l’inscription capitale d’Ouna, de la VIe dynastie, nous livrent le secret de mœurs assez paperassières et bureaucratiques. Les scribes jouent un grand rôle. Aussi tous les services publics sont-ils assurés, les greniers pourvus dans l’éventualité d’une famine, les canaux entretenus, les prestations exigées. Les plus hauts parvenus dans les emplois entourent le pharaon d’une cour nombreuse, d’un caractère civil et sacerdotal bien plus que militaire, et se glorifient de la faveur du fils d’Osiris. On sent dans tout cela des rouages inflexibles, rigoureusement montés pour de longs siècles et qui, pas plus que le reste, ne changeront avant l’extrême caducité. Il faut croire que le cours de la nature, si régulier dans cette Égypte, a fait pour une part les hommes et les institutions à son image; c’est sur la succession des soleils et des flots du Nil que s’est modelée la constance de la race, celle de l’art, vivant quarante siècles dans les mêmes langes, celle du type ethnique dont l’immobilité étonnante permet de confondre le fellah qui vous guide à Boulaq avec les statues qu’il coudoie. Bossuet a dit, avec une rare intuition de cette Égypte véritable qu’il ne pouvait pas connaître : « La température toujours uniforme du pays y faisait les esprits solides et constans. »

En somme, ce peuple des tombeaux de Saqqarah apparaît comme une société sage, sereine, heureuse. La tranquillité morale, le contentement facile dans cette libérale terre du Nil qui récompense le moindre effort au centuple, l’aise de vivre, voilà ce qui éclate dans ces tableaux où les contemporains de l’ancien empire retracent leurs occupations quotidiennes. Est-ce à dire qu’il faille se figurer une société invraisemblable, où la somme des biens dépasserait celle des maux? Non, sans doute, et nous avons surpris tout à l’heure dans un passage de l’hymne au soleil le cri désolé de cette multitude qui souffrait les corvées et peinait à la construction des pyramides. Il est toujours difficile de juger un état social primitif, qui ne nous a laissé d’autres témoignages que ceux des satisfaits de ce monde; mais il est permis d’affirmer que ces derniers étaient plus nombreux dans l’état égyptien que dans les vieilles